À propos de cette édition

Résumé/Sommaire
Quatre hommes, quatre destins croisés. Le premier naît à Albany le 3 janvier 1940. Le second, le même jour, à Londres. Le troisième à Aix-en-Provence, dans une famille nombreuse. Le quatrième, né le 5 janvier 1941 dans un lieu non précisé, mène une brillante carrière scientifique avec sa femme. Or il s’agit d’un seul et même homme et quand ses quatre vies coïncident, il meurt.
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« Pour son malheur, il devait connaître toutes ses vies », telle est la première phrase de la nouvelle de Carol Dunlop-Hébert. Histoire classique de réincarnation ? On le croit au début mais comme le protagoniste ne se réincarne pas successivement dans d’autres corps mais bien simultanément – à l’exception du quatrième avec un décalage d’un an et deux jours –, il s’agit moins d’un texte sur la réincarnation que sur un cas de personnalité multiple. C’est comme si chaque protagoniste vivait une existence au rabais, des bribes de vie que le quatrième assemble.
Quelques constantes, d’une vie à l’autre, se manifestent : même rapport difficile avec la langue, aphasie, mutisme, solitude, incommunicabilité avec ses parents et ses proches.
« Le Survivant » est un texte sur l’absurdité de la vie et sur l’identité problématique en raison du fractionnement du moi. Cela fait penser à certaines nouvelles d’Aude, notamment « Fêlures ». Quand les vies du dernier protagoniste se superposent à la fin de la nouvelle, celui-ci, dans un éclair de lucidité, se reconnaît dans « le regard long et silencieux et indifférent du chat, qui était le sien ». Ce chat est le focalisateur de ses quatre vies à ce moment précis. Serait-il alors le fruit du rêve du chat ? Ou sa conscience se transfèrerait-elle ainsi dans le chat qui lui permet de récréer son unité ? La fin ouverte de la nouvelle se prête à plusieurs interprétations.
L’influence de Julio Cortázar, dont Carol Dunlop fut la troisième et dernière épouse, flotte sur ce texte. Le personnage se demande s’il est le rêve de quelqu’un ou s’il est réel. Mais qu’importe, au fond ? « Et si je suis rêve, celui qui m’a rêvé m’a donné une impression de vivre, plus intense que la vie même. » Moderne pour l’époque en raison des questions métaphysiques qu’il soulève, « Le Survivant » est un texte qui nous habite longtemps parce que son thème principal, la solitude ou l’incapacité de communiquer par les mots – et ce, même si l’un des avatars connaît sept langues –, touche à la condition humaine dans son aspect le plus tragique. La mort prématurée de l’auteure, à trente-six ans, ne fait qu’ajouter à l’aura du texte. [CJ]
- Source : Les Années d'éclosion (1970-1978), Alire, p. 191-192.