À propos de cette édition

Éditeur
G.-E. Desbarats
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Contes populaires
Pagination
223-236
Lieu
Ottawa
Année de parution
1867

Résumé/Sommaire

Le soir de ses noces, Télesphore le Bostonnais reçoit la visite d’un inconnu vêtu d’un long manteau et d’une cagoule, qui le force à quitter la danse et l’emmène à l’écart pour lui parler. Il retire sa cagoule et montre son visage : il est la Mort, venue chercher Télesphore. Le condamné proteste tant, et se montre tellement prêt à combattre, que la Mort, débonnaire, consent à repartir seule, en échange d’une promesse : que Télesphore accompagne la Mort quand elle reviendra après lui avoir donné trois avertissements. Soixante ans passent et, lorsque la Mort revient, le vieux Télesphore avoue que récemment il est tour à tour devenu paralysé, aveugle et presque sourd. C’étaient les trois avertissements, lui dit la Mort, qui le frappe de sa faux.

Commentaires

Plus de la moitié du texte se passe en entrées en matière et en préambules. Un homme sentencieux, que ce monsieur Stevens, qui ponctue son texte de « chers lecteurs », l’émaille de références classiques ou de phrases latines, et sert sa morale conservatrice à pleines pages. Parfait représentant de l’idéologie officielle, il dépeint le XVIIIe siècle canadien comme un âge d’or où tous se connaissaient, vivaient simples et heureux en se contentant des lopins hérités des pères.

Depuis, les « bons vieux usages, saintes traditions, bonnes vieilles coutumes du bon vieux temps » se perdent dans la vaine quête du progrès et de la fortune. Aux banquets, ostentation et contrainte ont remplacé agrément et entrain, et les femmes ne montrent plus la simplicité et la modestie d’antan dans leurs toilettes. À cette « époque de foi et de patriotisme », les démons de l’argent et de l’ambition ne s’étaient pas encore manifestés et, en société, on préférait rire et chanter plutôt que s’intéresser aux nouvelles de pays étrangers et de personnages d’outre-mer. Un indice que cet âge d’or est révolu, pour Stevens : des accommodements avec la Mort comme celui raconté là ne seraient plus possibles au XIXe siècle (!).

Et Stevens d’illustrer l’âge d’or par cinq pages de descriptions de la noce, de ses préparatifs et du costume des participants. C’est l’occasion de quelques anachronismes vestimentaires, ou apparences d’anachronisme. Stevens semble d’ailleurs avoir du temps une notion assez élastique. Narré vers 1867, le texte raconte des événements de 1779 (la noce) puis de 1839 (retour de la Mort). Pourtant, quand il décrit la mariée, le jour de ses noces, il écrit : « Tout cela… ne vous donnera qu’une idée très imparfaite… de ce qu’était Melle Petoche (sic) il y a vingt ans. »

Quiconque connaît l’histoire du Québec, histoire des mentalités et de la société, ne se surprend pas de retrouver le discours conservateur ; on pouvait même craindre de le rencontrer plus souvent dans le corpus littéraire du dix-neuvième. Je ne m’attarderais pas sur cet aspect si Stevens lui-même n’en avait explicitement fait son cheval de bataille. Dans sa préface au recueil et dans d’autres textes, il donne à l’imprimé une très haute et noble mission, et aux Contes populaires le rôle de préserver le patrimoine des légendes orales, tout comme Taché avec ses Soirées canadiennes. Toutefois la morale qu’il tire de ces légendes, ou dont il les coiffe, est bien celle de son époque, non celle d’un siècle plus tôt.

L’intention moralisatrice de l’auteur est visible entre autres par ces proverbes, dictons ou maximes mis en exergue et que le conte vise à illustrer. Pour « Télesphore le Bostonnais », la maxime est « Plus on est vieux, plus on tient à la vie ». Pourtant, le conte montre plutôt l’inverse : c’est le jeune Télesphore qui tient à la vie au point de persuader la Mort de repartir (réussite peu commune, on l’admettra) tandis que, vieillard, il n’opposera qu’une résistance de principe à son sinistre visiteur.

Et le fantastique, lui ? Il se limite à un registre presque allégorique : la seule description de la Mort concerne sa « voix grave et caverneuse », « son visage affreux dans toute sa hideuse laideur », et le caractère dramatique de son entrée en scène. Cela situe « Télesphore le Bostonnais » parmi les contes surnaturels ; le fantastique, c’est peut-être une autre histoire. [DS]

  • Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 182-184.