À propos de cette édition

Éditeur
La pleine lune
Genre
Science-fiction
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
188
Lieu
Montréal
Année de parution
1987
Support
Papier

Commentaires

Comme la plupart des œuvres d’Esther Rochon, ce recueil de nouvelles pourrait être qualifié d’inclassable car les textes voyagent de la SF au fantastique en passant par le merveilleux à la Alice aux pays des merveilles, sans vraiment se préoccuper des frontières de genres. C’est plutôt au niveau des thèmes qu’une unité se dégage. En effet, la préoccupation principale de la plupart des personnages est le passage, le plus souvent spirituel, de leur état premier à un autre, meilleur, qui leur procurera l’harmonie et l’apaisement tant recherchés.

Cette recherche de soi-même n’est pas sans rappeler la quête du Graal et, bien entendu, les expériences et les cheminements des sages hindouistes et bouddhistes. On y trouve les mêmes exigences : réunion de diverses conditions en vue de l’épanouissement de la vie intérieure, un désir de percevoir le monde de la façon la plus claire et la plus précise possible en le dépouillant de ses illusions, en accomplissant une véritable traversée des apparences, qui conduit à une meilleure appréhension du réel dans toute sa plénitude. On y trouve aussi la même démarche : une recherche spirituelle qui sera d’autant plus efficace dans la mesure où elle est vécue intensément et que l’on y croie sincèrement. L’objectif n’en est pas matériel, il n’y a pas d’objet, ni de lieu, ni de véritable mythe dans cette recherche, il n’y a qu’un désir d’accomplissement sans cesse renouvelé. L’important est de se trouver soi-même.

Dans ce recueil, les quatre premières nouvelles partagent une unité de lieu et de société bureaucratique et hiérarchisée, puisqu’elles se déroulent toutes à l’intérieur du monde du Labyrinthe, espace de vie mais aussi lien entre les différents mondes, propice aux errances, aux trajectoires diverses et aux voyages. En plus d’être un lieu de passage, le labyrinthe est surtout l’emplacement privilégié du centre qui n’est pas, ou pas uniquement un lieu physique précis ; il est en fait multiple et peut-être n’existe-t-il pas réellement comme le suggèrent les protagonistes de la nouvelle « Le Traversier ». En fait, le centre est plus un stade, un état d’esprit auquel on parvient. De plus, les manières d’y arriver sont multiples et les résultats le sont tout autant.

À l’exception de « L’Escalier », qui est un récit de pur fantastique, les textes suivants offrent des thématiques plus traditionnellement SF. On y trouve des mondes post-cataclysmiques, des extraterrestres intelligents, des mutants et des monstres divers qui forment d’ailleurs un intéressant bestiaire. Cela dit, ces thèmes ne constituent pas nécessairement le fond des textes ; on y retrouve souvent des plaidoyers pour l’acceptation de la différence, la mauvaise conscience qui anime les pays riches face aux mondes pauvres et le destin de personnages souvent marginaux dont les faiblesses se transforment en force et pour qui, comme en mathématiques, la multiplication des moins donne des plus.

Une analyse des nombreux symboles contenus dans ces textes serait presque nécessaire pour bien leur rendre justice. Mais la place nous manque ici et le territoire à couvrir serait vraiment trop vaste. On peut tout de même souligner la force étonnante contenue dans certaines images de textes comme « La Double Jonction des ailes » ou « Dans la forêt de vitrail », les préoccupations politiques qui transparaissent, le constant souci de l’utilisation du mot juste et du terme précis. La présence du voyage, de l’eau, de la lumière, de la recherche de soi, d’un sentiment d’impuissance qu’il faut combattre, d’une attitude ambivalente devant la monstruosité et certains des aspects sombres de l’être humain, reviennent de façon récurrente dans la plupart des textes. La recherche de ces personnages en est une de vérité, d’absolu, où l’amour côtoie la haine, la beauté frôle la laideur, la mort chemine avec la vie, le confort contemple la souffrance et les espoirs sont douloureusement confrontés à la réalité dans un éternel jeu du noir et du blanc, apparent contraste où le prisme des couleurs et des images s’élargit sous l’écriture pour rejoindre les oppositions et délivrer les personnages. En fait, Esther Rochon nous donne à voir la lumière d’invisibles soleils et nous fait sentir leur chaleur.

Les préoccupations sociales sont très présentes bien que l’auteure privilégie plutôt un retour à la source, donc à l’individu, une transformation de la société par l’homme et non de l’homme par la société. Il s’agit davantage d’un social à petite échelle que de l’établissement d’une utopie illusoire ou du déchaînement d’une vaine révolution.

Pour finir, un mot sur l’écriture, douce, poétique et dosée, qui s’oppose parfois à certaines descriptions sauvages, ce qui a pour résultat de mettre davantage en évidence le relief des contrastes et de provoquer encore plus d’émotions chez le lecteur. En fait, l’écriture et le travail sur le style sont si subtils et si élégants que la trame n’est jamais clairement apparente, se fondant plutôt dans le tableau de l’histoire à raconter. [LSP]

  • Source : L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 158-161.

Références

  • Madore, Édith, Liaison St-Louis, 20-05-1987, p. 17.
  • Mativat, Daniel, imagine… 41, p. 112-113.
  • Moinaut, José et Vanina, Suzanne, Magie rouge 21-22, p. 63.
  • Painchaud, Rita, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 890-891.
  • Pelletier, Francine, Samizdat 9, p. 59-60.
  • Vonarburg, Élisabeth, Solaris 74, p. 17.