À propos de cette édition

Éditeur
L'Écho du cabinet de lecture paroissial
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
L'Écho du cabinet de lecture paroissial, vol. IV, n˚ 17
Pagination
393-397
Lieu
Montréal
Date de parution
01 septembre 1862

Résumé/Sommaire

Un cordonnier prénommé Richard travaille sans arrêt mais n’arrive pas à faire des économies parce que sa femme est une ivrognesse. Pour assouvir son vice, elle vend même son âme au diable en échange d’une bourse d’or qui lui permettra de boire tout son saoul pendant un an. Entre-temps, son mari reçoit la visite d’un mendiant qui lui offre de faire trois souhaits qu’il comblera. Le cordonnier demande un banc, un violon et un sac dotés de pouvoirs merveilleux. Un an après le pacte, le diable vient réclamer son dû. Richard le fait asseoir sur le banc où il reste cloué pendant neuf jours et lui arrache la promesse de ne pas revenir avant un an. Le délai écoulé, un deuxième diable se présente pour compléter le marché. Le cordonnier le fait danser pendant douze jours avec son violon enchanté et obtient un nouveau sursis d’un an au terme duquel un troisième diable survient. Usant de flatteries, Richard le convainc de se métamorphoser en rat et s’empresse de l’emprisonner dans son sac. Le diable accepte de ne plus l’importuner s’il lui redonne sa liberté. Quelques années plus tard, la femme meurt et se retrouve en enfer. Quand le mari meurt à son tour, il va chercher l’âme de sa femme en menaçant les trois diables de leur faire subir le même supplice qu’autrefois. Il parvient en même temps à libérer l’âme de cent pécheurs et entre triomphalement au paradis.

Commentaires

Il est rassurant de voir que la figure du diable n’a pas inspiré que des contes sérieux. Paul Stevens a su insuffler à son texte un ton enjoué et léger qui laisse libre cours à l’humour et à la fantaisie. L’apparition successive des trois diables n’est pas dramatisée : l’homme se moque ici malicieusement du malin. Le personnage du cordonnier se montre plus rusé que le diable et en fait le dindon de la farce. Cet art de la supercherie comporte une leçon que Jacques Ferron mettra à profit dans plusieurs de ses contes comme La Chaise du maréchal-ferrant et La Charrette.

Stevens démontre aussi qu’il est un fin observateur des mœurs de ses contemporains en dénonçant leurs travers quand son personnage négocie l’affranchissement d’une centaine de ses semblables qui expient leurs fautes en enfer. Cette réflexion moraliste sur la condition humaine trouve aussi un prolongement au XXe siècle dans les contes de Félix Leclerc.

Par ailleurs, Paul Stevens met en scène dans « Les Trois diables » un personnage féminin original. Des hommes qui succombent au vice de l’ivrognerie, la littérature du XIXe siècle en compte des centaines, mais une femme ? L’épouse du cordonnier échappe à l’image stéréotypée de la mère de famille (celle-ci n’a pas d’enfants) vertueuse ou de la femme pieuse qui consacre son existence à Dieu.

Les rôles sont ici inversés et on se demande ce qui pousse ainsi le mari à protéger sa femme et à tout faire pour assurer le salut de son âme. Il mérite toute notre considération, le pauvre homme, et certainement le paradis à la fin de ses jours !

À cause de ce dénouement anticonformiste et de la liberté que prend l’auteur avec les préceptes religieux de l’époque, « Les Trois diables » se distingue de la production courante. Stevens a un petit côté libertaire et iconoclaste qui, supporté par un style simple et sans prétention, contribue au charme de son conte. [CJ]

  • Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 184-185.