À propos de cette édition

Éditeur
Leméac
Titre et numéro de la collection
Roman québécois - 98
Genre
Science-fiction
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
237
Lieu
Montréal
Année de parution
1986
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Premier récit.

Un concierge d’un immeuble vit reclus dans son petit appartement qui donne cependant sur une autre pièce garnie de meubles anciens et d’une impressionnante bibliothèque. C’est là qu’il se réfugie pour écrire une sorte de journal intime qui tient aussi de la chronique puisqu’il rend compte de la vie des habitants de Montréal à la suite de la Déflagration.

Mais ce soir-là, il est intrigué par la foule qui envahit la rue et marche en direction du Vieux Port. Rompant avec ses habitudes, il se joint à la foule et assiste à une scène au cours de laquelle une femme échappe de peu au lynchage parce qu’elle est différente : elle possède toujours ses cheveux, ses ongles, ses cils et ses attributs féminins.

De retour chez lui, après avoir consommé quelques verres dans une taverne et un tripot, le concierge monte à l’appartement situé au-dessus du sien. Pendant qu’il inspecte la loge de Clélia, la seule personne de l’immeuble pour laquelle il éprouve du sentiment, des instrus saccagent son appartement.

Décidément, cette nuit n’est pas comme les autres. Que se passe-t-il ? Alors qu’il essaie de renouer avec son monde imaginaire, les cambrioleurs reviennent sur les lieux, bientôt suivis par les locataires qui lui en veulent. L’heure des comptes a sonné. Le concierge est battu à mort et écrasé par les étagères de sa bibliothèque.

Deuxième récit.

À Montréal, c’est la désolation, l’hiver nucléaire. La ville a été la cible d’une bombe à neutrons lancée en guise d’avertissement par l’Est, non sans que les habitants n’aient été prévenus au préalable. Mais tous ne sont pas partis et certains ont été gravement exposés. Le M.I.T. (Massachusetts Institute of Technology) prête son concours et installe un laboratoire sur le flanc du mont Royal pour traiter les Exposés et étudier les effets de la guerre propre sur l’environnement et la population.

Un technicien de la Base choisit de s’installer dehors, dans une maison jadis habitée par un militant pacifiste qui a laissé derrière lui de nombreux textes inachevés et une riche bibliothèque. L’étranger se met à rédiger son journal de bord et tente de cerner la personnalité de l’ancien occupant à travers ses écrits polémiques, théoriques, engagés et romanesques. Exposé aux retombées de la Déflag, le déserteur du M.I.T. perd la notion du temps et ne sait plus discerner la réalité du rêve. Le délire l’habite complètement.

Troisième récit.

Jeanne Audet-Bertrand, héroïne de la Résistance et nouvelle directrice de la collection Fictions et témoignages des Éditions d’État, emménage dans une maison désaffectée. Jeanne a pour mission de publier des livres qui aideront à reconstruire le pays maintenant que le peuple s’est débarrassé du joug subtil de l’occupant, en l’occurrence le M.I.T. Les Exilés vont revenir incessamment et il faut faire en sorte d’atténuer le plus possible les tensions qui ne manqueront pas de surgir entre eux et les Exposés.

Jeanne a sous la main un manuscrit en trois parties. En prenant connaissance de la première partie, le récit personnel d’un concierge pendant l’Occupation, et de la deuxième, le journal d’un déserteur du M.I.T. qui est nul autre que le concierge un peu plus jeune, Jeanne remonte dans son passé et déterre des événements et des actes qu’une amnésie passagère avait relégués dans l’oubli. Le manuscrit peut être compromettant pour elle : aussi, le réécrira-t-elle et le prendra-t-elle à son compte. Mais une explosion souffle la maison.

Commentaires

Première critique.

La Trouble-Fête de Bernard J. Andrès a été éreinté par le critique du Devoir, Stéphane Lépine, au moment de sa parution. Le texte était cependant trop hargneux et féroce pour qu’il ne cachât pas quelque chose. Le procédé ressemblait en tout point à un règlement de comptes et rien ne justifiait une pareille sortie. Je parie que Lépine s’est senti concerné par le portrait de l’intellectuel qui occupait la maison maintenant habitée par le technicien du M.I.T. dans le deuxième récit. Andrès a touché une corde sensible chez Lépine en tournant en dérision les intellectuels bourgeois et conformistes et les révolutionnaires de salon.

La vigueur de la charge rappelle que la littérature québécoise a déjà été une littérature engagée, une littérature de combat dans les années 1970. En renouant avec cet esprit, l’auteur met encore plus en lumière l’état actuel de la littérature, qui ressemble justement à la situation de Montréal après la Déflag. Cependant, il n’y a pas lieu de se désespérer puisque cela aurait pu être pire car, on peut le deviner, la Déflag est une métaphore du Référendum. What ? Certainly. Suivez-moi bien.

Ceux qui ont survécu à la Déflag ont commencé par résister passivement à l’occupation américaine. Puis, après trois ans de soumission et d’indifférence, les Exposés se sont soulevés et ont chassé l’occupant une nuit de trouble-fête, une nuit de la Saint-Jean. Le pays a alors acquis son indépendance politique. Il me semble qu’il s’agit là d’un des thèmes les plus importants du roman, avec celui évidemment de l’écriture et de la fiction sur lequel je reviendrai plus loin.

En effet, cette nuit de libération, qui donne d’ailleurs son titre au roman, occupe l’esprit du concierge et est au cœur du récit. Elle explique les événements qui se produisent. Par ailleurs, la troisième partie du triptyque aborde les problèmes qui se posent au nouveau pays au lendemain de son indépendance : relèvement de son économie, création d’une nouvelle unité nationale (réconcilier Exilés et Exposés), instauration d’un nouveau régime politique, restauration des moyens de communication, etc. Et le rôle de Jeanne est hautement politique.

L’astuce d’Andrès, finalement, aura été de parler de nationalisme sous le couvert de la science-fiction, de réactiver le discours des années 1970 dans un tout autre genre littéraire qui représente le mieux la nouveauté au Québec.

Évidemment, la diatribe de Stéphane Lépine mettait aussi en cause la forme du roman. Sur ce point, il n’avait pas tout à fait tort. Oui, l’auteur se prend pour Umberto Eco en mêlant narratologie, science-fiction, ingrédients de polar et histoire politique (la Rébellion de 1837-1838, notamment). Andrès se livre, dans La Trouble-Fête, à de subtils jeux d’écriture et de miroir qui font de ce roman une œuvre profondément baroque. Il étale toute son érudition de théoricien de la littérature en réfléchissant sur les diverses formes du récit et en nous faisant savoir qu’il n’est jamais dupe de son écriture.

Cette vanité l’amène même jusqu’à se substituer au critique alors qu’il analyse en détail dans la troisième partie le récit du concierge. Cela pourra agacer prodigieusement le lecteur qui réclame de l’action. Pour ma part, le traitement que fait l’auteur du thème de la création littéraire à travers les matériaux que sont les personnages et l’écriture m’a fasciné car l’accessibilité du texte n’est jamais compromise, contrairement aux expériences du genre qui ont eu cours au milieu des années 1970 (on y revient toujours !). Son roman est extrêmement construit, j’en conviens, mais mis à part quelques dérapages de haut vol, la structure se laisse assez facilement déconstruire.

Enfin, le cheminement d’Andrès n’est pas sans danger comme le démontre l’attaque vicieuse de Lépine. Le critique qui s’aventure sur le terrain de la fiction doit faire preuve d’humilité s’il ne veut pas être condamné ex cathedra. Six mois après la sortie de ce roman, Bernard J. Andrès faisait jouer à l’Eskabel, à Montréal, une pièce de théâtre intitulée Rien à voir. La critique de Raymond Bernatchez de La Presse a été virulente.

Deuxième critique.

La Trouble-Fête de Bernard J. Andrès est un roman de SF qui, par son atmosphère fin de civilisation, fait penser au roman de Jean Basile, Le Piano-trompette. Dans les deux cas, le récit se déroule dans un Montréal plus ou moins occupé par les Américains, après une catastrophe nucléaire. En outre, la SF ici est synonyme d’anticipation à court terme (même si l’année n’est pas précisée) bien plus que d’altérité ou autres thèmes qui font l’image de marque de la SF pure et dure.

Mais là s’arrêtent les comparaisons puisque Basile fait vivre une galerie de personnages pittoresques et loufoques tandis qu’Andrès pénètre dans la pensée de quelques êtres dont l’activité principale est de lire et d’écrire. Et pourtant, nous ne doutons jamais que le roman d’Andrès est un roman de SF tandis que celui de Basile semblait tirer profit d’une situation à caractère SF uniquement pour traduire des préoccupations qui ne nourrissaient aucunement le genre SF.

La raison est simple. Même si Andrès s’intéresse d’abord au processus de la création littéraire et des différentes formes qu’elle peut prendre, il ne manque pas de relever certaines idées reçues en SF pour mieux les contester au besoin. Ainsi, sa description de la vie à Montréal après la Déflag contredit les visions apocalyptiques du day after. Il fait éclater en morceaux le manichéisme qui surgit inévitablement de ce genre de situation : il y a l’agresseur et la victime, les méchants et les bons, l’Est et l’Ouest. Or, si les Soviétiques sont coupables d’avoir administré le premier coup de semonce, les Américains sont coupables d’avoir profité de la situation pour occuper Montréal et en faire un vaste laboratoire d’expériences.

Andrès aborde aussi le thème de la normalité qui est toujours définie par la majorité et montre le renversement des valeurs qui s’est opéré à la suite de la catastrophe. Les anormaux sont ceux qui sont restés comme avant, ceux dont le corps n’a subi aucune mutation. On pourrait multiplier les exemples de la sorte qui illustrent finalement que l’auteur a bien saisi les enjeux soulevés par la littérature de SF.

Son récit est tout à la fois politique, philosophique et économique et dépasse de beaucoup le cadre étroit de la politique-fiction. Andrès réussit le difficile mariage du discours SF et du discours critique. Je me souviens que je n’avais pas apprécié le texte qu’il avait publié dans imagine… 26, « La Guerre propre ». Ce texte, constitué de deux fragments du présent roman, souffrait d’une rupture de ton inexplicable. Sans qu’on sache pourquoi, un point de vue succédait à l’autre. Cela survient fréquemment dans le roman mais ce déplacement de l’instance narrative fait partie d’un projet d’ensemble dont nous pouvons maintement apprécier la cohérence interne.

Quoi que peu représentatif des préoccupations actuelles de la SFQ, La Trouble-Fête n’en participe pas moins à ce mouvement littéraire en se présentant comme une expérience de métalangage sur le genre.

Troisième critique.

Et le fan de SF là-dedans ? Il m’apparaît évident que Bernard J. Andrès s’adresse d’abord à ses confrères critiques et professeurs. La Trouble-Fête risque fort de passer inaperçu dans le petit milieu de la SFQ, au même titre que le roman de Jean Basile, de François Barcelo (Agénor, Agénor, Agénor et Agénor) ou de Jacques Benoit (Patience et Firlipon) même si ces romans sont tous différents.

Le roman d’Andrès m’a intéressé autant à titre d’observateur attentif de la production maintream (au cours des années 1970) qu’à titre de commentateur de la SFQ depuis 1979. Mais je suis sûr d’une chose : La Trouble-Fête n’aura jamais le prix Boréal, indépendamment de ses qualités littéraires, parce que peu d’amateurs de SF le liront. Ceux-ci lisent déjà trop peu la production québécoise des auteurs identifiés au milieu, alors vous pensez bien que Bernard J. Andrès…

Fin du triptyque critique. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1986, Le Passeur, p. 15-18.

Références

  • Dussault, Jean-Claude, La Presse, 19-07-1986, p. E 2.
  • Greif, Hans-Jürgen, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 900-901.
  • Vonarburg, Élisabeth, Solaris 69, p. 14.