À propos de cette édition

Éditeur
Les Presses d'Amérique
Genre
Science-fiction
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
176
Lieu
Montréal
Année de parution
1994
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Un jardinier déterre un manuscrit caché dans un coffret. Il s’agit du compte rendu, par un certain E. Adam, de ses conversations avec les émissaires d’une autre planète, dans une autre galaxie.

Dans la première partie de l’ouvrage, le vieillard qui prend la parole au nom de cette délégation interroge Adam sur les aberrations qu’il croit déceler dans la société d’Adam, qui serait la nôtre. Quatre domaines sont abordés successivement : la politique, l’économie, l’éducation et la santé. Adam est obligé d’admettre l’existence de dysfonctionnements majeurs et de nombreuses imperfections dans ces domaines. Les gouvernements se soucient d’abord de prendre et garder le pouvoir, négligeant la dette, la natalité, les personnes âgées ou la délinquance des jeunes. L’économie repose sur la poursuite effrénée de la richesse pour consommer toujours plus, méprisant les chômeurs pour choyer les bureaucraties syndicales ou les nantis qui profitent de l’universalité des services sociaux. L’éducation commet l’erreur de vouloir plaire à tout prix aux étudiants, de ne plus valoriser l’excellence et de pousser les professeurs à toujours quêter plus de subventions de recherche. Enfin, la santé est l’otage des groupes d’intérêt qui monopolisent les ressources et les consacrent à la rémunération ou à des appareils coûteux au détriment des patients, qui attendent dans les antichambres ou manquent de médecins en région.

Dans la seconde partie de l’ouvrage, le vieillard expose les solutions retenues sur sa planète. Elles se fondent sur le principe du respect des personnes. En politique, un Grand Conseil qui représente les grands corps de la société (un peu comme des États généraux permanents) désigne les priorités de la politique partisane et les services rendus par les jeunes astreints à un an de service obligatoire (militaire ou autre). La peine capitale et les châtiments corporels sont privilégiés, ainsi que des politiques natalistes. En économie, la société assure le minimum vital (de quoi manger et de quoi se loger) à tous grâce au service obligatoire des jeunes, à un ticket modérateur payé par les plus nantis pour la santé ou l’éducation et aux économies réalisées au moyen d’une carte d’identité universelle qui combine plusieurs fonctions. Le chômage est réduit en faisant appel au temps partagé. En éducation, le nombre de cours est limité afin de favoriser l’approfondissement de l’apprentissage. Plusieurs catégories d’enseignants collaborent pour aider les écoliers et étudiants à subir avec succès des examens qui donnent accès au niveau suivant, les sujets les plus brillants choisissant de subir des examens supplémentaires plus difficiles afin d’étoffer leur dossier. En santé, l’accès universel aux soins est financé grâce aux économies réalisées par des comités d’excellence (peut-être inspirés des cercles de qualité japonais) qui traquent les abus et à l’amélioration de la santé de la population favorisée par l’adoption d’un régime sans viande, à base de céréales et de légumes bio.

Le portrait dressé par le vieillard est si séduisant qu’Adam envisage de lui demander de séjourner sur sa planète d’origine. De fait, le vieillard lui offre un tel séjour, mais Adam se ravise et décline parce qu’il considère que le respect qu’il doit aux siens lui impose de diffuser le principe du respect des personnes dans notre société.

Commentaires

L’auteur, Yves Roy, était alors professeur de philosophie au Collège de Trois-Rivières. Il ne faut donc pas se surprendre que cet ouvrage prenne la forme d’un long dialogue socratique en huit parties. Pourtant, c’était sans doute la formule la plus aride qu’il était possible de choisir pour décrire une nouvelle utopie. La part de fiction est réduite au minimum et l’élément science-fictif est tout aussi léger, car il ne tient qu’à la localisation sur une autre planète de la société utopique évoquée par le mystérieux vieillard. En outre, Roy choisit de s’en tenir à des énoncés généraux qui font allusion aux réalités québécoises sans jamais les nommer en tant que telles.

Le résultat est d’une telle platitude qu’il ne saurait intéresser que les politologues et les spécialistes. Certains des problèmes diagnostiqués demeurent d’actualité – le chômage, l’évasion fiscale, les frais de scolarité, les lourdeurs syndicales, la mondialisation – tandis que d’autres ne soulèvent plus les passions – l’aide internationale, le décrochage scolaire, les médecins en région – même s’ils ne sont pas nécessairement résolus.

Les solutions – à part les élections à dates fixes qui se sont imposées d’abord ailleurs en Amérique du Nord – n’allaient pas dans le sens de l’histoire au Québec. Tout au plus peut-on accorder à Roy qu’il a un peu anticipé la grande vogue de l’alimentation bio. Sinon, si la mouvance souverainiste affectionne la tenue occasionnelle d’États généraux depuis plus de quarante ans, il n’a jamais été question d’en faire une institution permanente. La description que Roy donne de son Grand Conseil fait d’ailleurs ressortir à quel point la formule des États généraux est corporatiste. Tout en se réclamant de la social-démocratie (p. 85), Roy présente une utopie obnubilée par l’ordre et prévient que « la recherche d’ordre social, si on veut éviter qu’elle soit une manifestation de fascisme, doit être comprise non comme une fin en soi mais comme un moyen d’arriver à autre chose » (p. 92). En prônant la peine capitale et les châtiments corporels, les travaux forcés des prisonniers, un service obligatoire d’un an pour tous les jeunes, une politique nataliste, un retour à l’exigence de l’excellence, une carte d’identité pour tous et même un régime végétarien universel, l’auteur n’est pas si éloigné de certains régimes collectivistes de triste mémoire. Il lui faut d’ailleurs défendre son utopie de l’accusation de « totalitarisme » (p. 84) formulée par Adam.

Néanmoins, Roy a aussi anticipé certaines des critiques adressées à la conjonction du néo-libéralisme et de la mondialisation, par exemple, dans No Logo (1999) de Naomi Klein. En revanche, il ne tente pas de réhabiliter l’idéal d’une économie mixte et les solutions économiques qu’il préconise sont plus conservatrices qu’autre chose. Si la nouvelle utopie de Roy est soucieuse des personnes, son rejet de certaines formes du libéralisme (assimilées à un règne du « hasard ») la rapproche également du personnalisme d’Emmanuel Mounier (1905-1950) qui fut populaire un temps au Québec en tant que troisième voie entre le capitalisme libéral et les collectivismes d’État. Ce que Roy évacue complètement de son utopie, toutefois, c’est toute dimension religieuse.

Bref, l’ouvrage de Roy s’inscrit dans la lignée des utopies québécoises. Ni nationaliste ni catholique ni nouvel-âgeuse, elle appartient à une catégorie dont elle est pratiquement la seule représentante. Quoique rébarbative pour le lecteur de fiction, elle pourrait intéresser les historiens des idées. [JLT]

  • Source : L'ASFFQ 1994, Alire, p. 6-8.