À propos de cette édition

Éditeur
VLB
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
154
Lieu
Montréal
Année de parution
1988
Support
Papier

Commentaires

Dans ce premier recueil portant sa signature, Marc Sévigny nous offre treize nouvelles regroupées en trois parties. Vue partielle de l’enfer est le titre d’un premier bloc qui comprend cinq textes. Vertige chez les anges en renferme cinq autres. Les trois derniers sont réunis sous le titre de Muses. Plusieurs d’entre eux avaient déjà été publiés dans les revues imagine…, Solaris ou XYZ.

Un très bon livre, ce Vertige chez les anges. Les nouvelles sont toutes agréables à lire, les sujets, variés. Le style de l’auteur change parfois d’un texte à l’autre, mais la clarté de l’écriture constitue leur principal trait commun.

Bien que les treize récits ne soient pas d’égale qualité, les écarts ne sont pas si larges entre les textes mineurs et ceux qui attirent davantage l’atten­tion. « Coup de dé », « L’Œuvre », « La Lettre » et « Nébulosité croissante » entrent dans la première catégorie. Ils sont intéressants mais n’impres­sionnent pas. C’est surtout vrai pour « Nébulosité croissante », seul texte dont le sens reste obscur sans que l’auteur ne l’ait voulu.

Les textes majeurs sont, en ordre croissant : « Retraite anticipée », « Ver­tige chez les anges », « Maison à louer » (à cause de l’atmosphère), « Vue partielle de l’enfer » (quoique la présence de deux narrateurs me paraisse parfaitement inutile) et enfin, « Travail au noir » que j’ai trouvé puissant.

Si la classification par genres s’appuie souvent sur des opinions person­nelles, il est néanmoins évident que les textes de Sévigny ne fusent pas tous dans la même direction.

Sans conteste, la science-fiction y est représentée par « La Zone », « Les Chiens » et « Vue partielle de l’enfer », tandis que le fantastique (moderne) coule d’abondance dans « Paradise Underground » et « Coup de dé ». Quel­ques textes sont installés à la frontière des deux genres : « Avis de décès » et « Retraite anticipée » (fantastique kafkaïen, anti-utopie), ainsi que « Travail au noir » (atmosphère fantastique et anti-utopie). Sont plus difficiles à classer « Nébulosité croissante » (hallucinations ?), « Maison à louer » (est-ce vraiment « une bonne vieille histoire de fantômes » ou bien une plongée dans la folie ?) et « Vertige chez les anges » (onirisme, spiritualité). Enfin « L’Œuvre » et « La Lettre », malgré l’arrière-goût d’étrangeté qu’ils nous laissent, appartiennent au réalisme.

Le bloc Vue partielle de l’enfer est axé principalement sur la science-fiction, avec trois textes se déroulant dans un futur proche ou lointain. Le thème reliant les cinq nouvelles, c’est justement celui de l’enfer. Dans trois cas, il s’agit d’un enfer collectif, à résonance sociale. « La Zone » nous présente un dérèglement de l’espace-temps causé de toute évidence par un accident nucléaire. La mort de la civilisation a déjà eu lieu dans « Vue partielle de l’enfer », où nous suivons un groupe de survivants après la guerre atomique. Dans « Les Chiens », les causes du déferlement animal ne sont pas expliquées, mais c’est toute la société qui est mal foutue. « Paradise Underground » nous raconte une descente aux enfers, le parking souterrain devenant l’envers du Pays des Merveilles. Pour « Nébulosité croissante », l’hypothèse d’une catastrophe écologique n’est pas à rejeter si l’on veut expliquer les phénomènes météorologiques qui se produisent. Mais rien n’est clair cette fois et il peut s’agir aussi d’hallucinations expérimentées par le protagoniste, comme de réactions provoquées involontairement par lui dans la nature.

La partie deux, Vertige chez les anges, comporte surtout du fantastique. Les drames y sont plus individuels que dans les récits du premier regrou­pement. Dans l’unique texte vaguement SF, « Travail au noir », nous retrouvons le thème de la société déglinguée et corrompue abordé dans la partie un. La seule lueur d’espoir de tout le livre scintille ensuite faiblement dans « Vertige chez les anges » que j’interprète comme le récit d’une réincarnation. Cette nouvelle m’a d’ailleurs fait penser à « Récession », écrite il y a plus de vingt-cinq ans par George Langelaan et publiée dans Nouvelles de l’anti-monde. Dans les deux cas, nous sommes témoins du cheminement intérieur d’un mourant qui accède à la renaissance.

Muses rassemble des textes portant sur le thème de la création et inter­rogeant la place de l’artiste dans une société ultra-conformiste ou hyper-bureaucratisée. L’atmosphère y est plus étrange que fantastique. L’absurde appareil gouvernemental décrit dans « Retraite anticipée », com­me dans « Avis de décès » précédemment, ne va pas sans rappeler Kafka. En outre, j’ai senti quelques similitudes de ton entre ces deux textes et « La Lettre », d’une part, et certaines nouvelles du recueil de Claude Mathieu (La Mort exquise) d’autre part. Même écriture froidement analytique, même solitude du personnage-créateur ou chercheur, même engagement obsessif de sa part dans une tâche dérisoire.

Outre les thèmes inhérents à chaque partie, trois autres sont présents dans la majorité des nouvelles.

La solitude d’abord. Tous les protagonistes sont extraordinairement seuls avec leurs visions, leurs idées ou leur hantise. Seuls devant la meute de chiens ou les institutions sociales. Seuls face à la mort. Le créateur, particulièrement, affronte cette solitude. Incompris ou rejeté, il choisit parfois de lui-même l’isolement ou le silence. Les rares couples du recueil sont instables ou se défont, quand ils ne sont pas illusoires comme dans « Paradise Underground » où Jacques reste endormi pendant que sa com­pagne vit un cauchemar éveillé.

La mort aussi est omniprésente, celle des individus ou celle de la civilisation. Le protagoniste de « Travail au noir » est même devenu mes­sager de la Grande Faucheuse.

L’échec, un thème voisin, suinte de chaque récit. Les espoirs d’une vie se sont dégonflés. La société n’a pas rempli ses promesses. La civilisation s’écroule ou se sclérose. C’est encore l’artiste qui vit la plus profonde défaite. Le jeune écrivain de « Maison à louer », ainsi qu’Alain dans « L’Œuvre », ne parviendra pas à écrire son livre. Thomassine Melon est emprisonnée, Geoffroy Denis est oublié, Alex Filteau lutte contre un Goliath étatique, et Bruno s’est cloîtré dans le silence.

En somme, par la gravité des thèmes abordés et la qualité des traitements, par la variété des sujets et la clarté de l’écriture, le livre de Marc Sévigny s’avère d’une importance certaine pour la littérature québé­coise fantastique et de science-fiction. [DC]

  • Source : L'ASFFQ 1988, Le Passeur, p. 157-160.

Références

  • Carrier, Mélanie, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 943-944.
  • Lamontagne, Michel, Solaris 83, p. 16.
  • Meynard, Yves, Samizdat 16, p. 38.