À propos de cette édition

Éditeur
Des Deux Rives
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
100
Lieu
Ottawa
Année de parution
1968

Résumé/Sommaire

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Commentaires

La publication du Violon magique et autres légendes du Canada français a bénéficié d’une subvention dans le cadre des fêtes du centenaire du Canada en 1967. Sa traduction en anglais répondait sans doute à des objectifs politiques comme l’unité canadienne. On a voulu produire un beau livre, de grand format, avec une couverture caisse recouverte d’une toile écrue et des gravures en couleur de l’artiste Saul Field qui illustrent chacune des dix légendes du recueil.

Malheureusement, on a oublié de retenir les services d’un correcteur d’épreuves compétent. Il est déplorable qu’un ouvrage de cette qualité matérielle compte autant de fautes et de coquilles typographiques. On peut aussi regretter la confusion qui règne entre l’avant-propos et la préface. Marius Barbeau signe un avant-propos qui est en fait une préface comme le confirme explicitement Claude Aubry (remerciant Barbeau pour sa lettre-préface de l’ouvrage) qui, lui, signe… la préface ! Quel méli-mélo ! Sans parler de Marius Barbeau qui se couvre un peu de ridicule en abordant la mystérieuse affaire du procès et de la pendaison de la Corriveau.

L’aspect le plus agaçant de cet ouvrage reste, pour moi, le parti pris de l’auteur qui veut récrire ces légendes. Il s’en explique ainsi dans sa préface : « Je l’ai fait sur un ton quelque peu ironique, je l’avoue, et dans l’esprit de notre temps, disons plutôt dans l’esprit d’un “honnête homme” du XXe siècle, mais tout en respectant la trame et non sans une certaine amitié pour les personnages de ces récits. » Va pour la réécriture et même pour la fusion de deux légendes comme Claude Aubry se permet de le faire à l’occasion. Ces légendes font partie du patrimoine francophone canadien et quiconque le désire peut légitimement les récrire dans ses mots.

Là où je ne suis pas d’accord avec la façon de faire de Claude Aubry, c’est quand il fait précéder le récit d’un préambule qui se veut une mise en contexte de la légende. Cette manie de vouloir actualiser la légende, de discourir sur les mentalités, les préjugés ou les idées reçues qui en favoriseraient l’émergence et l’alimenteraient va à l’encontre, à mon sens, de son entreprise. Consciemment ou non, il détruit la magie de ces récits en les opposant systématiquement au présent. Il ne fait qu’accentuer le fond de superstition qui, comme un terreau fertile, servait d’humus aux légendes. Il crée ainsi une distance encore plus grande entre les deux époques et repousse le récit dans la préhistoire. Un exemple parmi d’autres tiré des « Marsouins de la Rivière-Ouelle » : « Alors qu’il passait pour lourd, gauche, excentrique et bizarre il y a plus d’un demi-siècle, le marsouin a défrayé la chronique des journaux à maintes reprises ces dernières années, car on aurait découvert chez lui une intelligence animale très fine et une adresse remarquable dans les jeux. » Ce commentaire n’éclaire en rien la lecture de cette légende. On dirait qu’Aubry veut se rendre intéressant mais son propos n’est pas pertinent ou alors, il est tout à fait inapproprié comme ici dans « Rose Latulippe » : « Voilà pourquoi nos ancêtres furent malheureux et eurent beaucoup d’enfants. »

Ces réserves formalistes importantes sur l’entreprise de réactualisation d’Aubry étant exprimées, examinons maintenant le corpus de légendes qu’il propose dans son ouvrage. Plusieurs d’entre elles sont devenues des classiques et ont été reprises par divers auteurs : « Rose Latulippe », « La Corriveau »,  « La Chasse-galerie » et « Le Loup-garou ». Des dix récits, sept peuvent être admis dans le répertoire fantastique, les trois textes exclus étant des légendes « historiques » : « La Cloche de Caughnawaga », « La Corriveau » et « Pilotte ».

Le récit qui m’a le plus intéressé dans l’ouvrage d’Aubry – peut-être parce que je ne connaissais pas cette version – est « Le Violon magique ». Le narrateur ne fait pas mystère de l’identité du bel étranger : on sait qu’il s’agit du diable. Mais en mettant au premier plan la figure du maréchal-ferrant, le récit se démarque des figures religieuses (c’est notamment le cas dans « Rose Latulippe ») qui viennent généralement contrecarrer les desseins du Malin.

Ici, le curé et le maréchal-ferrant sont les deux seules personnes du village que le diable ne peut espérer corrompre ou vaincre. Le curé, on comprend pourquoi. Quant au maréchal-ferrant, il est considéré dans ce récit comme un demi-dieu parce qu’il maîtrise le feu. Il est un acteur important dans cette société traditionnelle parce qu’il sait utiliser le feu à des fins nobles et utilitaires alors que le feu est habituellement associé à l’enfer. De plus, ce conte n’est pas porté par un esprit œcuménique. En effet, la fête a lieu dans un manoir en ruines qui a appartenu jadis à un riche calviniste de La Rochelle. En associant ce lieu à un endroit de perdition, la diégèse discrédite subtilement le calvinisme dans une province en grande majorité d’obédience catholique.

« Le Violon magique » est un texte d’une grande richesse symbolique qui nous en apprend beaucoup sur la société québécoise d’autrefois. Il repose sur la même prémisse que le célèbre conte « Rose Latulippe » avec qui il partage plusieurs ressemblances. La présente version offre toutefois une variante étonnante et inédite : Rose est dépouillée de ses vêtements par le diable après les douze coups de minuit. La nudité est très rarement évoquée dans les contes traditionnels québécois. Est-ce là un effet de l’entreprise de modernisation à laquelle s’est livré Claude Aubry ?

Les autres contes ou légendes sont à peu près conformes aux versions connues et présentent un intérêt inégal. « La Légende du Rocher Percé » est une belle histoire d’amour empêché qui sait émouvoir tandis que « Les Marsouins de la Rivière-Ouelle », trop court récit sans grande portée, a le seul mérite de faire connaître une légende d’une autre région du Québec. [CJ]

  • Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 11-15.

Références

  • Boivin, Aurélien, Dictionnaire des écrits de l'Ontario français, p. 927-928.
  • Lepage, Françoise, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec IV, p. 953.