À propos de cette édition

Éditeur
Logiques
Titre et numéro de la collection
Autres mers, autres mondes - 6
Genre
Science-fiction
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
274
Lieu
Montréal
Année de parution
1989
ISBN
2893810101
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Commentaires

Voici cinq ans que Jean-François Somcynsky ne nous avait proposé un recueil, soit depuis J’ai entendu parler d’amour, publié chez Asticou en 1984.

« Chacune des nouvelles de ce recueil forme une partie essentielle de la fresque amoureuse brossée par Somcynsky dans sa production littéraire générale. Pièce im­portante de son œuvre, ce livre évoque une mosaïque, où les récits sont autant de composantes d’un même thème : l’amour. »

Cette citation est tirée de L’ASFFQ 1984. Avec raison, Gaétan Godbout van­tait la valeur du travail de l’auteur, sa capacité indéniable à renouveler sans cesse son thème de prédilection.

Deux autres courants ternissent l’ima­ginaire de Somcynsky depuis. Le premier, qui ajoute une forte – sinon crédible – coloration SF, a culminé avec La Planète amoureuse ; l’autre, qui associe la dimension diplomati­que au thème principal et se caractérise par ses forts – sinon souhaités – contrastes, s’est mis en évidence dans Les Visiteurs du pôle Nord.

Malheureusement pour nous, six des sept nouvelles de Vivre en beauté se rattachent à ces deux courants ; consolons-nous puisque le texte le plus long – plus du tiers du recueil – est un bijou, nous rappelant que l’auteur a eu et a toujours un talent fou de conteur.

Si vous êtes curieux, vous avez déjà été voir à la fin de cette recension pour lire les résumés et, oui, vous avez bien lu, « Excès d’information » nous raconte pour la millième fois l’explosion de 1908 dans la toundra soviétique. L’auteur apporte-t-il quelque chose d’original à tout ce qui a été écrit sur le sujet, vrai ou faux ? Pas vraiment. Heureusement, la nouvelle est courte.

D’ailleurs, j’aime bien cette façon de monter un recueil en intercalant les courts et les longs textes, de même que cette volonté de construire symétriquement, les nouvelles courtes donnant en général dans le ET et les textes longs dans la sociologie humaine, bien que, pour « Un visiteur encombrant », un extraterrestre se soit glissé dans l’histoire afin de servir de faire-valoir.

Tout ceci n’empêche cependant pas les quatre nouvelles courtes de ressembler à de mauvais pastiches de l’époque des pulps américains. Qu’on analyse un peu « Survivre », avec ses trois petits ETs en fer blanc qui se baladent dans la galaxie. À tout dire, je pense que ce texte aurait été mieux placé dans un recueil pour jeunes, catégorie 8/10 ans. Et encore, depuis la vague de films SF dans les cinémas, ils auraient peine à avaler tout ça. Non pas à cause du manque d’originalité – à cet âge, on est émerveillé par la millième version d’une idée, n’ayant aucune connaissance des neuf cent quatre-vingt-dix-neuf précédentes –, mais bien à cause du manque de crédibilité de l’histoire elle-même. Ces êtres d’une très vieille race ne sa­vent pas qu’ils peuvent rouiller, ne savent pas comment ne pas rouiller. Pourtant ils sont capables de bricoler la première créature biologique venue. Qu’ils se nourrissent de photons et d’information, passe encore, mais qu’ils soient sauvés juste au moment où l’auteur ne sait plus quoi faire d’eux ? Trop de deus ex machina tue l’intérêt du lecteur ; une quincaillerie SF mal ficelée l’éloigne à tout jamais de sa lecture.

Ces problèmes se rencontrent à nouveau, on s’en doute, dans « Les Singes de Kala », banale resucée de l’animal extraterrestre échoué sur la Terre et évoluant en l’Homme, ou dans « La Tache », le classique du classique dans le petit ET fascinateur sorti de son météorite. Pour être franc, cette dernière histoire se tient beaucoup mieux que les autres malgré son manque flagrant d’originalité. Peut-être est-ce dû au décor terrestre qui environne le tout, décor qui, pour une fois, est crédible ?

« Un peu de fumée » et « Un visiteur encombrant » n’ont même pas le mérite de la brièveté. La première histoire relate les pirouettes politiques du chef du Parti Uni qui se voit aux prises avec un bout de film compro­mettant. Si la thèse est claire – à trop vouloir le bien du peuple, on l’écrase –, le procédé est on ne peut plus direct. Des personnages, nous n’avons qu’une image stéréotypée : les méchants sont méchants, les bons sont… mais y en a-t-il à ces hauts niveaux de la société ? À grands coups de machette, Somain taille son histoire comme s’il s’ouvrait un chemin dans une jungle tropicale. Déconnectés de la réalité, ses personnages évoluent comme dans un mauvais scénario et les invraisemblances fusent, les incon­gruités se multiplient – ne mentionnons que cette histoire d’immortalité : le régime politique a si bien régimenté le régime nutritif que les citoyens deviennent immortels ! – et l’histoire n’en finit plus de tomber dans le grotesque. Mais peut-être est-ce voulu, peut-être sommes-nous en train de lire une farce moralisante comme Grand Guignol nous en présentait au XVIe et au XVIIe ? Si oui, ce n’est pas évident du tout. Même la grosse farce a besoin de se renouveler de temps à autre.

Dans « Un visiteur encombrant », l’invraisemblance atteint son comble. Imaginez : la Première Ministre du Canada en train de parlementer avec un ET qui veut s’approprier la moitié du Québec, puis toute la Terre, et elle continue à discuter tranquillement de cette situation avec sa seule cheffe de cabinet. Le stéréotype à son comble nourrit les personnages : un savant névrosé, une PM "nounoune", une cheffe de cabinet baiseuse et un ET plus con qu’Ultraman et Conan réunis. La preuve ? Lui qui, avec son peuple de guerriers nomades de l’espace, a écumé la moitié de la galaxie, il se fait détruire quatre super-vaisseaux à grands coups d’aurores boréales !

Il y a tellement de choses ridicules dans cette nouvelle qu’il m’aurait fal­lu un calepin complet pour les noter. Tiens : alors que la situation est critique (la Terre va-t-elle y passer ?), la PM dîne avec le savant et la conversation porte sur la tarte aux fraises… « – Délicieuse, votre tarte aux fraises des bois. – Merci, merci. – J’espère qu’il en restera pour Anik. – Ne craignez rien, j’en ai à profusion. Quand elle arrivera, mes robots l’accueilleront avec le festin de son choix. ». (p. 113) Une autre ? Le langage de Ordoko… « Gani gadagou… […] Nakiméda gadi. ». (p. 92), ou encore… mais non j’arrête, c’est trop. La quatrième de couverture parle d’ironie. Moi, je dis que c’est rire du lecteur.

Et il y a « Dire non ». Là, je me pose des questions : comment peut-on écrire un si beau texte quand on peut commettre « Un visiteur encom­brant » ? Je ne vois qu’une seule réponse : pour Jean-François Somain, ces deux textes s’équivalent. Si le premier joue sur les nuances et se fait tragédie, le deuxième s’amuse à battre tambour et à vouloir faire rire avec son grotesque.

Dans « Dire non », Somain renoue avec la qualité première de son écritu­re, la fluidité. Petit à petit, il nous brosse un tableau relativement crédible d’une société libertaire et pourtant totalitaire, où le déterminisme est deve­nu le moteur de la civilisation. Soudainement, on prend contact avec des personnages qui s’épaississent, qui retrouvent leur densité d’humain à part entière. On aime, on pleure, on se souvient, on espère. Et l’idée de base qui sous-tend le texte – Les Sept Principes régissant la vie – se fait originale dans son absurdité angoissante : 1) Il y a Sept Principes ; 2) Chacun des Sept principes est axiomatique ; 3) Les Sept Principes sont reliés entre eux ; 4) Les Sept Principes constituent un système global ; 5) Tout découle des Sept Principes ; 6) Tout aboutit aux Sept Principes ; 7) Les Sept Principes doivent être observés.

Comment faire pour dire non quand le bonheur est la conséquence du oui ? D’ailleurs, le système ne laisse pas de choix. Tu dis non à ton bonheur sociétal et on t’isole. Comme cette petite fille qui doit rester dans sa cham­bre pendant quelques jours sans aucune possibilité de contact avec d’autres parce qu’elle a triché lors de l’examen, minant ainsi la crédibilité de la société même ; comme lorsqu’on te propose une promotion…

Mais la liberté n’est plus la liberté quand elle contrôle tout et les person­nages principaux arrivent à des constatations importantes : « … la liberté, c’est une abstraction sans importance ailleurs qu’en philosophie. Ce qui compte vraiment, c’est l’impression d’être libre. Tu te souviens de cette absurdité : “La liberté de chacun s’arrête là où commence celle du voisin” ? Comme il y a partout des voisins, notre liberté ne dépasse pas notre épiderme. Quand tu choisis la liberté, la tienne, on t’isole. Là, tu n’as plus de voisins, mais il n’y a pas de liberté non plus. C’est le vide, l’absence, la solitude. » (p. 237).

Et puis, cette phrase, à la toute fin du texte, partie intégrante des constatations du narrateur au bout d’une longue vie de lutte contre le système en l’améliorant de l’intérieur, mais toujours sans pouvoir faire sauter les béquilles que sont les Sept Principes : « On impose pas la liberté : on la rend possible. » (p. 258).

Un très beau texte qui fait oublier les six autres.

Heureusement ! [JPw]

  • Source : L'ASFFQ 1989, Le Passeur, p. 201-205.

Références

  • Boivin, Aurélien, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 969-970.
  • Ménard, Fabien, Solaris 90, p. 13-14.
  • Painchaud, Rita, imagine… 51, p. 95-97.
  • Perron, Gilles, Dictionnaire des écrits de l'Ontario français, p. 933.