À propos de cette édition

Éditeur
Ailleurs
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Ailleurs 2
Pagination
46-56
Lieu
Sainte-Foy
Année de parution
2000
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Tout va bien pour André. Les ventes de ses romans ne cessent de grimper. Sam, son éditeur, lui reproche toutefois son obstination à écrire ses œuvres en se servant d’une ancienne plume, ce qui affecte considérablement sa productivité. Quand la plume affirme qu’elle commence à manquer d’encre, remarque qui provoque la colère du jeune auteur, celui-ci descend à la cave où il conserve dans un congélateur le cadavre d’une femme dont le sang lui sert à remplir son encrier. Cependant, il a tellement le dégoût de son crime que lorsqu’il manque de sang à nouveau, il ne se décide pas à commettre un nouveau meurtre, préférant utiliser son propre fluide vital. Il en crève. Son éditeur veut détruire le manuscrit pour des raisons morales mais il hésite car il songe à l’argent et à la gloire que cela pourrait lui apporter.

Commentaires

Je pourrais trouver beaucoup de défauts à ce texte : les personnages sont stéréotypés, les dialogues manquent de naturel, les éléments de l’intrigue sont éculés et ce n’est pas si bien écrit. Il faut toutefois prendre en considération le fait que cette nouvelle a été publiée dans un fanzine dénué de prétentions littéraires. Ce genre de publication offre à de jeunes auteurs le plaisir et l’encouragement de se faire publier même s’il s’agit parfois de textes très mineurs ou douteux, style splatterpunk par exemple, qui passeraient mal dans des magazines plus professionnels, plus haut de gamme.

Éric Bourguignon étant un amateur déclaré de mauvais films, je le soupçonne de s’être inspiré d’un film d’épouvante très mineur, pour ne pas dire minable, dans lequel John Phillip Law incarnait un artiste peintre psychopathe qui assassinait de belles jeunes femmes, leur sang lui fournissant le seul ton de rouge qui convienne à ses toiles.

C’est à travers une grille d’analyse psychotronique qu’il faut examiner ce texte ainsi qu’un autre du même auteur, L’Androïde, tome premier, qui ne verra semble-t-il jamais de suite, ce qui est malheureux. Il y a dans ces créations un refus, probablement inconscient de la part de l’auteur, de la bonne et belle littérature, choix qui ne pourra que choquer les bien-pensants. Des auteurs comme Bourguignon semblent faire le pari d’exprimer une fantasmatique qui, pour eux, est inévitable et obsessionnelle en ce qu’elle constitue la substance même de leur imaginaire. Elle provient des lectures qu’ils ont faites et des films qu’ils ont vus et elle est personnelle dans la mesure où ils ont assimilé complètement ce bagage et en sont devenus, je crois, les prisonniers. Pour eux, la création ne consiste pas à être original et unique, miroir aux alouettes de l’artiste ambitieux, mais à restituer à leur manière ce qu’ils ont consommé culturellement. Stephen King lui-même n’agit pas autrement. Il existe des gens qui ne tiennent pas à se libérer de leur imaginaire, même s’il est importé et kitsch. Vouloir s’en débarrasser équivaudrait pour eux à nier une partie importante d’eux-mêmes, à pratiquer une forme d’automutilation.

À travers cette nouvelle de qualité relative, des questions importantes sont tout de même posées. Jusqu’où un créateur peut-il se permettre d’aller pour la réalisation de son œuvre ? Doit-il tout sacrifier et même aller jusqu’au meurtre en se fondant sur la conviction que l’Art et le succès sont des valeurs suprêmes, au-delà du Bien et du Mal ?

Bourguignon répond un peu à cela dans son texte en supposant que, malgré l’obsession littéraire de son personnage d’écrivain, ce dernier ne peut plus poursuivre dans la même voie en dépit des exhortations de sa plume, implacable muse. Sa conscience finit par s’affirmer comme étant la plus forte. Il en vient donc à se sacrifier à l’écriture de son roman. Son éditeur se retrouve ensuite confronté au même dilemme. Bourguignon laisse la fin ouverte, refusant de nous révéler ce que choisira Sam. Les exigences de sa conscience ou celles de la gloire ?

Peut-être faut-il aussi percevoir, à travers le besoin de sang de la plume, l’expression d’un certain malaise de la part de l’auteur. Est-il moral et normal d’accepter de nourrir le penchant macabre de sa propre personnalité ? Cette question, les amateurs intelligents de fiction horrifique doivent se la poser parfois.

Même une histoire de qualité discutable peut susciter, tout autant qu’un chef-d’œuvre, des réflexions. Reste à savoir si, dans un contexte où la littérature avec un grand L est une vache sacrée, il y aura de la place pour ce que certains considéreront avec mépris comme n’étant que de la série Z. [DJ]

  • Source : L'ASFFQ 2000, Alire, p. 29-31.