À propos de cette édition

Langue
Français
Éditeur
Andromède
Genre
Science-fiction
Longueur
Novelette
Paru dans
Proxima spécial 1
Pagination
25-54
Lieu
Lille (France)
Année de parution
1986
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Tennara est maintenant vieille. Elle écrit son histoire qui est aussi celle de son peuple. Dans sa jeunesse, elle avait été choisie, tout comme sa sœur jumelle Libélisha, pour faire partie des Œils, groupe d’élus appelés à mettre leurs Visions au service du Multiple. Un jour, Libélisha enfreint la Loi et lui raconte les Visions qu’elle a en dehors des séances régulières sur la couche consacrée. Tennara découvre alors la vraie nature du Multiple : une machine au service des Humains. Car ceux-ci ont compris le parti qu’ils pourraient tirer du don de voir dans l’avenir que possèdent plusieurs sujets de cette race intelligente.

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Commentaires

Il convient d’abord de situer « Les Yeux ouverts » dans la production d’Élisabeth Vonarburg. Cette nouvelle appartient à la première période, celle qui comprend notamment les nouvelles de L’Œil de la nuit. L’auteure insiste à cette époque sur les pouvoirs parapsychiques innés des personnages et invente des sociétés autres que la nôtre très dépendantes du Mythe.

La deuxième période d’Élisabeth Vonarburg, amorcée avec le recueil Janus et poursuivie dans ses textes les plus récents, (y compris ceux écrits sous pseudonyme), est marquée par une réflexion sur l’art et la vie futurs, l’interaction entre l’humain et l’électronique et les rapports difficiles et complexes entre hommes et femmes. En abordant ces thèmes, elle se trouve à délaisser les pouvoirs de l’esprit pour ceux du corps. Son écriture traduit cette évolution en étant plus rigoureuse et en se permettant moins d’effets poétiques.

« Les Yeux ouverts » est donc une nouvelle plus exotique que les productions récentes de l’auteure. Elle montre que le mythe peut devenir un outil de libération quand il émane du peuple mais qu’il peut aussi devenir un outil d’oppression quand il est fabriqué et imposé par un agent extérieur. C’est le cas des protagonistes de la nouvelle à qui les Humains ont imposé un mythe artificiel pour mieux diriger leur évolution. Le Multiple n’est pas leur mythe originel. C’est pourquoi Tennara cherche à trouver un sens nouveau au mythe, à développer sa propre mythologie pour permettre à son peuple d’engager éventuellement un dialogue d’égal à égal avec les Humains.

Cette nouvelle étant le récit de l’éveil de la conscience de Tennara, on conçoit facilement les difficultés que l’auteure a rencontrées dans la construction de son texte. Au départ, le lecteur se trouve dans la conscience de Tennara et il ressent sa confusion. Cette position est cependant intenable à long terme parce que l’auteure se doit de faire passer de l’information pour éclairer le lecteur. C’est l’utilité de la première vision mettant en scène les deux Humains, Rocha et son supérieur. À ce moment-là, le lecteur quitte la conscience de la narratrice et devient capable de percevoir le sens des événements. L’auteure déroge ainsi à ses règles initiales en utilisant un procédé qui ne rend plus l’esprit confus de Tennara mais qui apparaît indispensable pour la compréhension du texte.

On pourrait également lui reprocher d’avoir créé des extraterrestres qui ont des réactions trop humaines mais il faut se rappeler le conditionnement auquel ils sont soumis par les Humains pour constater que ces réactions sont justifiées comme il faut se rappeler aussi que la langue du Mythe, la langue du pouvoir en somme, n’est pas la leur. Cette autre forme d’aliénation suprême est d’autant plus frappante que leur langage apparaît plus complet que le langage humain car ils parlent aussi avec leurs corps, dernière trace de leur état primitif.

« Les Yeux ouverts » n’exploite pas complètement le thème de l’éveil de la conscience et de l’autonomie. Il n’atteint pas tout à fait la force et la puissance d’une nouvelle comme « Eon », mais il s’agit d’un des textes les plus politiques et les plus sociologiques d’Élisabeth Vonarburg car il montre à l’œuvre l’utilisation oppressante d’une mythologie fabriquée de toutes pièces et la mystique aliénante qui en résulte. On n’en est pas encore toutefois aux conceptions politiques et révolutionnaires de « Mané, Tékel, Pharès ». [RB]

  • Source : L'ASFFQ 1986, Le Passeur, p. 147-148.