À propos de cette édition

Éditeur
Vents d'Ouest
Titre et numéro de la collection
Rafales
Genre
Fantastique
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
170
Lieu
Hull
Année de parution
1998
ISBN
9782921603751
Support
Papier

Commentaires

D’emblée, l’illustration de la couverture nous saisit. Dans cette illustration de Mathieu Larocque et Ève Legris, depuis leur tablette, attendant patiemment que le visiteur survienne, deux yeux dans le vinaigre nous regardent froidement. Ces yeux, ce sont ceux de la nouvelle éponyme qui donne son ton au recueil. Jouant habilement (pas lourdement) sur la ressemblance phonétique entre les mots « œufs » et « yeux », cette nouvelle nous entraîne au cœur d’une histoire tournant autour du regard.

Dans ce recueil de huit nouvelles signées Claude Bolduc, le regard est à l’honneur. Ainsi, dans la nouvelle « Les Yeux troubles » précédemment mentionnée, le pouvoir maléfique passe par le regard et perdure dans l’œil par-delà la mort ; de plus, c’est pour que l’autre soit le témoin impuissant de ses vilenies que l’être maléfique le charme et l’engourdit. Dans « L’Araignée dans le plafond », l’assassin, fictif ou réel, du personnage principal doit crever l’œil de sa victime afin que le meurtre soit complet. Dans « Dernière Ballade au clair de lune », l’échange d’identité passe aussi par le regard évidemment, puisque se retrouver dans le corps de quelqu’un qui nous fait face, c’est se regarder par ses yeux. Dans « Dis-moi que tu m’aimes », c’est la perspective de ne plus voir l’être aimé et de ne plus se voir à travers lui qui fait agir le protagoniste. Quant à « L’Heure de bébé », tout le mystère autour de la fantastique créature qui rend visite à l’homme à la nuit tombée tient au fait que l’obscurité règne, au fait donc que le personnage ne peut voir même s’il regarde. Même dans les autres nouvelles où l’œil ou le regard ne sont pas des thématiques prégnantes, les yeux ou le point de vue sont évoqués au détour d’une phrase : l’un des « monsieurs » sur l’île regarde l’enfant avec de gros yeux (« Rouge ») ; dans « Le Déterminateur », il faut que le personnage principal voie la fiche pour comprendre qu’il est devenu l’arroseur arrosé ; après que le personnage ait quelque peu joué les voyeuses, la dernière image de la nouvelle « Julie » est le noir, tout justement.

Plusieurs de ces nouvelles tournent également autour du regard narratif, si je puis dire, ou si vous préférez, tournent autour du point de vue. C’est en raison de la perspective choisie que ces nouvelles sont efficaces. Ainsi, si la chute de la nouvelle « Rouge » est si efficace, c’est sûrement parce que l’auteur a choisi de suivre les pensées d’un enfant, naufragé de surcroît, à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession ! Dans « Julie », du fait que le point de vue soit celui d’une sorte de nymphomane voyeuse à l’esprit dérangé et dont l’obsession occupe tout le champ de vision, notre propre regard demeure étroitement collé à l’histoire qui se déroule et nous fait découvrir les éléments horrifiants en même temps que le personnage. De même, c’est parce que le personnage de « L’Heure de bébé » est aveuglé par la jouissance sexuelle qu’il éprouve même dans la douleur qu’il ne perçoit pas immédiatement (alors que le lecteur et la lectrice sont amenés à le deviner avant lui) qu’il est transformé en pourvoyeur de « lait paternel ».

Le texte de la quatrième de couverture insiste sur le fait que c’est dans la nouvelle que Claude Bolduc déploie son véritable talent en fantastique, et on ne peut qu’acquiescer. Dans ces instantanés, l’auteur nous livre des pans d’horreur particulièrement épouvantables qui laissent des images tenaces en nous. L’auteur connaît ses classiques, mais il traite des grands thèmes du fantastique de manière personnelle. Et pourtant, l’ouvrage, dans l’ensemble, est plus fort que la somme de ses parties. En effet, alors que le recueil jouit d’une bonne cohésion thématique et narrative, les nouvelles n’ont pas toute la même cohérence événementielle. Lors de la recension de cet ouvrage, j’ai noté que les nouvelles étaient difficiles à résumer en quelques mots car elles partent parfois dans plusieurs directions. Les nouvelles sont angoissantes à la première lecture et se font écho les unes aux autres, mais, selon toute apparence, elles ne sont pas faites pour l’analyse car alors leur sens s’effrite et leurs éléments se révèlent quelque peu incohérents.

Toutefois, sans doute cela n’est-il pas qu’un défaut. Inquiétantes dans leurs thèmes, les nouvelles le seraient donc dans leur structure, et échappant à l’analyse elles échappent aussi à la rationalisation sécurisante. Il semble bien que le fantastique que pratique Claude Bolduc soit destiné en grande partie à nos émotions plutôt qu’à notre intellect. [SBé]

  • Source : L'ASFFQ 1998, Alire, p. 30-32.

Références

  • Campion, Blandine, Le Devoir, 26/27-09-1998, p. D 6.
  • Tremblay, Nicolas, XYZ 58, p. 93-95.
  • Vonarburg, Élisabeth, Solaris 129, p. 32-33.