Zamboni

Il a neuf ans et il est gardien de but dans une équipe de Novices C de Sainte-Julie. Il rêve de remplacer Patrick Roy dans l’uniforme du Canadien quand il sera plus grand. Son père l’encourage, lui qui a dû mettre fin à une carrière prometteuse en raison d’une fracture de la cheville quand il jouait chez les juniors. Mais la vie de gardien de but n’est pas facile et le jeune garçon subit la mauvaise humeur de son père quand il perd. Un jour, à la fin d’un match où il n’a pas particulièrement été brillant, il est invité par le vieux monsieur qui conduit la Zamboni à pénétrer à l’intérieur de la machine. Là, il assiste à la projection de ses rêves, se voyant gagner la coupe Stanley, la coupe Canada et la médaille d’or aux Jeux olympiques. Mais la réalité est beaucoup moins rose. Son équipe perd souvent et il a la tête ailleurs. Il en vient même à ne plus vouloir entrer dans la machine à rêves parce que c’est trop difficile d’affronter la réalité après. Le vieux monsieur lui apprend que sa machine peut aussi remonter le temps. Le jeune garçon se rend compte lors d’une séance de projection que son père lui a menti. Avec l’aide de son coéquipier Jean-Philippe, il dresse alors un plan pour rapprocher la mère de ce dernier de son père à lui puisque leurs parents sont divorcés.

Il y a une chanson de Beau Dommage dont j’aime beaucoup les paroles : « Depuis qu’chus né qu’joue au hockey / Comme toué p’tits gars dans mon quartier / J’rêvais d’gagner la coupe Stanley / Mon idole c’tait Jean-Claude Tremblay… » On y résume en six couplets la carrière d’un joueur de hockey et ça parle à tous les petits Québécois car le hockey fait partie de notre culture. C’est à cela que je pensais en lisant Zamboni de François Gravel, un délicieux petit livre rempli d’images qui trouve le ton juste pour décrire les rêves des jeunes qui veulent faire carrière dans le sport professionnel.

L’auteur a puisé dans ses propres rêves d’enfant et a mis à profit son expérience comme entraîneur d’une équipe de hockey mineur pour montrer de l’intérieur les pressions auxquelles les jeunes sont soumis. Sans aller aussi loin qu’André Melançon qui, dans son documentaire Les Vrais perdants, mettait en cause les parents qui imposent un entraînement intensif à leurs enfants, Gravel ne manque pas cependant de souligner que les parents se projettent dans leur enfant et veulent qu’il réalise les aspirations qu’eux-mêmes n’ont pu mener à terme. « Mon père avait une machine à rêver, lui aussi. Sauf que sa machine, c’était moi. » Il en résulte un climat de compétition qui fait perdre à l’enfant le sens ludique du sport. Avec humour, Gravel note quelques observations fort justes : le coach qui donne tel conseil tandis que le père en donne un autre qui contredit le premier, la mère qui crie après son fils dans les gradins. À la fin, il remet les choses dans leur juste perspective. Ce serait merveilleux de réaliser son rêve et de devenir le gardien de but du Canadien mais ce ne sera pas grave si on n’y parvient pas.

Sans doute me reconnaîtrais-je beaucoup dans le père de Zamboni si j’avais deux garçons au lieu de deux filles peu douées pour le sport. Malgré cela, j’ai beaucoup aimé le petit livre de François Gravel qui, en confiant la narration au petit garçon (jamais nommé pour que tous les jeunes lecteurs puissent s’identifier à lui), a misé sur la simplicité et la concision. Il n’y a pas de digressions inutiles dans ce récit, de vains bavardages qui, tout en augmentant le nombre de pages, diminuent proportionnellement l’intérêt. Il n’y a pas davantage de montée dramatique : c’eût été contraire à l’esprit du récit puisque l’auteur croit en l’importance des rêves sans en faire une question de vie ou de mort. De plus, le jeune narrateur ne vit pas que pour le hockey. Il se rend bien compte que son père est malheureux depuis le départ de sa mère. Cela aussi, c’est une réalité de la vie.

On pourra arguer que la filiation de ce récit à la science-fiction est plutôt ténue. C’est vrai, mais cela est courant dans les œuvres destinées aux jeunes. Les critères qui définissent les genres littéraires y sont moins rigoureux. La machine à rêves n’est sans doute qu’un prétexte, un artifice littéraire pour avoir accès aux rêves du jeune garçon mais la Zamboni joue un rôle primordial dans le récit, ne l’oublions pas.

François Gravel, qui m’avait séduit par son humour corrosif dans La Note de passage, un excellent roman fantastique sur l’univers des cégeps, a-t-il démérité à mes yeux maintenant qu’il exploite à son tour la poule aux oeufs d’or de la littérature jeunesse ? Certainement pas. Le succès remporté par Zamboni est pleinement mérité. [CJ]

• Source : L'ASFFQ 1990, Le Passeur, p. 97-99.

• Anonyme, Vie pédagogique 72, p. 24.
• Chartrand, Sébastien, Lurelu, vol. 41, n˚ 3, p. 73.
• Guy, Héléne, Lurelu, vol. 14, n˚ 1, p. 14.
• Sarfati, Sonia, La Presse, 04-11-1990, p. C5.
• Tremblay, François, Des livres et des jeunes 38, p. 41.