À propos de cette édition

Langue
Français
Éditeur
La courte échelle
Titre et numéro de la collection
16/96 - 3
Genre
Fantastique
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
286
Lieu
Montréal
Année de parution
1996
ISBN
9782890212589
Support
Papier
Illustration

Résumé/Sommaire

Étoile montante du jazz qui jouit d’une belle renommée dans le circuit des boîtes du Canada et des États-Unis, le trompettiste Gabriel Reynolds, alias Gabriel D’Arque Angel, n’en est pas moins un homme tourmenté qu’assaillent des visions, des images sanglantes et morbides apparemment associées à Haïti, son pays natal. Il faut dire que juste les circonstances de son arrivée en sol canadien… Avec lui dans ses bras en train de prendre la tétée, sa mère a été abattue par les tonton makout – cette graphie, sans s, suit les règles orthographiques du créole haïtien – sur le seuil de la résidence du diplomate Benjamin Reynolds et sa femme. On aura compris que le nourrisson a été recueilli par les Reynolds.

Nous voici vingt-cinq ans plus tard. Tandis qu’à Ottawa on enterre Benjamin, mort subitement, Gabriel, qui a gardé peu de liens avec sa famille adoptive (à l’exception de sa « sœur » Laura, avec qui il entretient une relation cachée), donne une série de spectacles à Montréal avec son quintette. Au même moment s’installe dans la métropole, avec la bénédiction du gouvernement et sous l’œil complaisant des médias, Barthélémy Minville, ancien dignitaire du régime de Baby Doc. L’admission au Canada de ce tortionnaire surnommé « Barracuda » soulève l’ire des Haïtiens qui ont subi les exactions du régime. Lui, s’il est ici, c’est pour retrouver Alice Grospoint, fille de Dieubalfeuille Grospoint, sorcier haïtien dont il utilisa jadis les services avant de le tuer froidement.

D’ArqueAngel, qui n’est pas homme de racines, se consacre essentiellement à sa musique et ne se préoccupe guère de la situation politique de son île natale ni des bourreaux à la solde des Duvalier père et fils. Or lui et Minville sont unis par un lien inimaginable auquel Dieubalfeuille Grospoint n’est nullement étranger…

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Commentaires

Avec Zombi Blues, roman décliné sur fond de jazz, de folklore haïtien et de fantastique, Stanley Péan, né à Port-au-Prince en 1966 et immigré au Québec à l’âge de huit mois, lance dans le paysage littéraire québécois un objet plutôt inusité, au demeurant très intéressant à plusieurs égards.

Nous sommes ici dans des zones sombres et troubles peuplées moins de fantômes que de monstres personnifiés au premier chef par le sadique et pervers Barthélémy Minville, « réfugié de luxe ». Au Québec, il continue d’agir comme en Haïti, sans être inquiété par les autorités. Frédéric Dauphin, propriétaire d’un restaurant et instigateur d’une opération commando visant à éliminer l’ex-tortionnaire, est de ceux qui apprendront à leurs dépens ce qu’il en coûte de s’attaquer à un tel homme. Lorenzo Apollon, policier mulâtre surnommé « Oreo » (Noir à l’extérieur, Blanc à l’intérieur) par la communauté haïtienne, enquête sur la disparition de Dauphin et de ses complices. Sans résultats.

Si Minville semble pouvoir se débarrasser des importuns – et de leurs cadavres ! – avec une facilité déconcertante, c’est qu’il bénéficie d’une aide précieuse : son « fils » Caliban, un Haïtien albinos surnommé « Grand Blanc ». On se rappellera que dans La Tempête, de Shakespeare, Caliban est un être monstrueux esclave du mage Prospero. Force brute quasi invicible, machine à tuer sans états d’âme et exécuteur des basses œuvres de Minville, Grand Blanc n’a pas grand-chose d’humain lui non plus.

Le Caliban de Péan est devenu un zombie sous l’effet d’un « sérum » mis au point par Dieubalfeuille Grospoint vingt-cinq ans auparavant. Minville le sanguinaire, également adepte de magie noire, entretenait – et entretient toujours – le fantasme fou de créer une armée de surhommes qui seraient les serviteurs aveugles d’un dictateur, et avait forcé le sorcier à travailler pour lui. Deux nourrissons enlevés à leurs parents avaient servi de cobayes. L’un des deux a été adopté par un couple de Canadiens…

Sous couvert de fantastique, Stanley Péan livre un récit polysémique à souhait. Mélange de genres, en fait, Zombi Blues se présente comme une évocation critique du duvaliérisme et un thriller de politique-fiction où, en raison des fantasmes de Minville, plane l’ombre des manipulations scientifiques nazies. En filigrane se dessine un Montréal métissé bien contemporain, quelque peu en état de surchauffe au fur et à mesure que l’on s’approche du Festival de jazz. D’ailleurs la musique est omniprésente ici, au point où tous les titres des chapitres correspondent à celui d’une pièce de jazz (Misterioso, Introspection, Impressions, Mood Indigo, In a Mist, etc.).

Au final, Zombi Blues se révèle un roman à l’atmosphère sombre, torride et oppressante, nimbé d’une noirceur qui va crescendo jusqu’au dénouement et qu’exacerbent des scènes d’un érotisme cru. Grâce à des personnages secondaires consistants, comme ceux de Dauphin, d’Apollon et d’une certaine Jacynthe Roussel, maîtresse de Minville avant d’en devenir l’esclave – et l’un de ses cadavres –, Péan nous propose par surcroît une intrigue efficace et touffue dont la figure centrale est le Barracuda, monstre de brutalité vers qui gravitent tous les protagonistes. L’auteur en fait un salaud intégral sans jamais tomber dans la caricature, ce qui n’est pas un mince exploit.

Envoûtant, violent, sanglant et excessif, mais non dénué d’humour… noir, Zombi Blues est somme tout un très bon cru de la littérature fantastique québécoise. [FB]

  • Source : L'ASFFQ 1996, Alire, p. 159-160.

Références

  • Arsenault, Lucie, Québec français 103, p. 17.
  • Côté, Gilles, Nuit blanche 65, p. 45.
  • Jetté, Daniel, Solaris 118, p. 44.
  • Sergent, Julie, Lettres québécoises 83, p. 25.