Michel J. Lévesque appartient à la nouvelle génération d’auteurs de science-fiction et de fantastique (les Sylvain Hotte, Dominic Bellavance, Maxime Roussy, Fredrick D’Anterny, pour ne mentionner que ceux-là), la troisième, qui aspirent moins à construire une œuvre conséquente ou marquante qu’à vivre de leur écriture, ce qui implique de publier beaucoup. Au début de sa carrière au milieu des années 1970, Daniel Sernine entretenait sans doute la même ambition, ce qui ne l’a pas empêché de réaliser une œuvre parmi les plus importantes dans les littératures de l’imaginaire au Québec. On pourra peut-être dire la même chose un jour de celle de Michel J. Lévesque.

Avant d’entreprendre en 2007 la populaire série Arielle Queen, qui compte dix tomes, Lévesque a publié, dans des revues et fanzines, plusieurs nouvelles regroupées depuis dans le recueil Noires Nouvelles. Une demi-douzaine d’entre elles forment le « cycle des Menvatts » : « Une autre histoire de Menvatts », « Menvatt Story », « Menvatt Blues », « L’Arcuride », « Miracle Markoff » et « L’Appât Stellanixe ».

Outre que la pratique de la nouvelle lui a permis de faire ses gammes en écriture, il en a profité pour mettre au point en quelque sorte, dans ce cycle de textes de science-fiction, la « bible » de la série Arielle Queen en basant celle-ci sur l’ambivalence et la double vie des protagonistes. Afin de faire contrepoids à leur manque d’estime de soi, les personnages de Lévesque aspirent à rien de moins qu’à endosser le costume – et l’habit, ici, fait véritablement le moine, car il participe de la transformation autant physique que psychologique du personnage – du justicier vengeur (les Odi-Menvatts) ou de l’élue (Arielle Queen) chargée de vaincre les forces du mal.

Dans son cycle, Lévesque dénonce le fanatisme religieux qui se réclame de la justice divine pour mieux détourner à ses fins la violence et la pulsion de vengeance de ses adeptes. La religion des Odi-Menvatts autorise en effet ses membres à se substituer à la justice humaine et à punir de mort des citoyens pour des fautes plus ou moins graves, sur la seule foi d’une plainte. Cette critique ne manque pas d’à-propos dans le contexte des tensions religieuses qui secouent le monde actuel.

Arielle Queen repose sur la dualité des individus, partagés entre le bien et le mal, l’amour et la haine. Le modèle explicite de l’auteur est le roman de Robert Louis StevensonDocteur Jekyll et Mister Hyde, que les jeunes de la classe de français d’Arielle étudient à l’école. La plupart des personnages de la série ont une double personnalité : l’une vit le jour, l’autre se manifeste la nuit. Les créatures de la nuit, soit des Alters, soit des Elfes noirs, se font la guerre depuis des siècles. Lévesque innove en ce sens que ces démons sont aussi malveillants et cruels les uns que les autres, ce qui contribue à atténuer le caractère manichéen qui est souvent le lot de la fantasy.

D’ailleurs, le genre pratiqué par l’auteur s’éloigne du modèle traditionnel en proposant une fantasy urbaine qui a un pied dans le réalisme le plus trivial et un pied dans la mythologie des dieux. Cette série possède tous les atouts pour plaire aux adolescentes et adolescents : d’une part, un cadre familier – l’école –, de la romance, de l’action et des rebondissements à souhait, la présence d’animaux de compagnie, des amitiés féminines ; d’autre part, un univers merveilleux qui magnifie le corps – objet d’attention si important à cet âge – par la grâce, la force, l’agilité et la capacité de voler à leur portée par l’intermédiaire de personnages auxquels ils peuvent s’identifier dans le registre du quotidien.

Toute l’œuvre de Michel J. Lévesque est ainsi marquée par le thème récurrent de l’alter ego qui assume les fantasmes, nobles ou dépravés, du protagoniste cherchant à oublier l’image de médiocrité que lui renvoie son milieu. Son imaginaire a également été façonné par les légendes québécoises, comme l’atteste le titre de son premier roman, Samuel de la chasse-galerie, allusion à la légende d’Honoré Beaugrand qui ponctue périodiquement aussi la nouvelle « Le Sang noir ».

Si le combat entre le bien et le mal dans l’âme humaine est éternel, les stratégies, le contexte social et les nuances varient d’un auteur à l’autre. Là se trouve la force de Michel J. Lévesque, cette capacité d’assimiler les influences du patrimoine littéraire québécois et universel pour le resservir dans des propositions littéraires modernes. Son écriture, compétente et efficace, de même que le traitement de ses thèmes de prédilection, en étroite connivence avec les préoccupations de son lectorat adolescent, laissaient croire qu’il deviendrait le Denis Côté des années 2010.

Après une production intense pendant une dizaine d’années, Michel J. Lévesque semble avoir perdu le feu sacré puisque son dernier roman remonte à 2014.

Œuvres

Auteur/autrice