Mario Bédard

Mémoire de maîtrise, Université Laval, 1986, 172 pages.

Résumé
En ce XXe siècle où les hommes sont appelés, selon leurs perceptions de la civilisation industrielle, aux réalisations les plus exaltantes ou encore à l’écocide et à l’ethnocide, il est intéressant de chercher à comprendre les rôles, limitations et filiations de l’homme et de la nature à l’égard de l’évolution des sociétés modernes, plus particulièrement par la médiation d’une littérature extrémiste, la science-fiction adulte.

Il appert des progressions les plus récentes que ce soit le mouvement réactionnaire qui gagne de plus en plus d’adeptes. Du nombre, la science-fiction adulte, après l’analyse de quinze romans et la confrontation de leurs propos avec certaines chroniques littéraires réflexives qui discourent sur la condition humaine, s’entend comme un microcosme ludique et cognitif de la civilisation industrielle. Elle sublime le réel grâce à ses distanciations spatio-temporelles, des analogies et extrapolations qui lui permettent de mieux l’analyser, l’interpréter. Elle sonde les ambitions, intentionnalités, potentiels et valeurs de l’homme, et ce par l’entremise des rapports homme-nature, homme-culture, homme-sciences. Elle tente ainsi de désambiguiser les multiples descriptions spatiales et sociales complexifiées d’aujourd’hui, et ce en imaginant l’éventail des possibles répercussions de celles-ci. Elle s’ébat au mieux parmi une vision pessimiste des temps à venir, si tant est qu’elle s’apparente aux géographies réactionnaires, dont la géographie théorique, en ce que toutes deux déplorent, à un niveau général, la prépondérance du quantitatif, du mécanicisme, du systémisme et du réductionniste explicatif. À un niveau particulier, elles s’insurgent contre la pollution et le gaspillage des ressources naturelles qui sont redevables à des entendements erronés du temps et de l’espace, tel que véhiculés par les sociétés modernes.

Humanistes, la science-fiction adulte et la géographie théorique, en se posant la question fondamentale « Qu’est-ce que l’homme ? », rompent l’unité entre le vécu et l’objectivisation du monde qui, de facto, apparaît tel qu’il est. Elles vitupèrent à l’endroit des responsables et des masses aveugles qui, obnubilés par le pouvoir et la suprématie, le confort et le bonheur matériel, l’objectivité et la raison, provoquent des crises d’identité et de signification.

Elles recherchent communément un espace de liberté pour la pensée et le sentiment qui pourra accueillir une autre intelligence, une nouvelle pratique, une autre conscience. Ce lieu anarchiste demeure embryonnaire pour les géographies critiques qui commencent à peine à décloisonner leur vision du monde. Aussi, si elles désirent poursuivre leur démarche en ce sens, elles devront compenser leurs lacunes en faisant appel à la science-fiction adulte. Cette paralittérature s’impose comme un adjuvant pertinent à l’érection de semblable géographie anticonformiste, subjective, sensible aux inconnus fictifs, aux idées et motivations qui régentent les actions et pensées des individus, car n’est-elle pas un miroir critique et fidèle de la quotidienneté, interprète de sa sensibilité ?

Elle permettra ainsi à la géographie contemporaine qui s’articule à l’intérieur des collectivités qu’elle décrie, d’échapper à cet assujettissement qui est le sien parce qu’elle doit composer avec des impératifs scientifiques et institutionnels qui restreignent ses libertés d’expression. Elle contribuera notamment à l’édification au sein de la géographie moderne d’une réflexion intérieure qui assoira les assises d’une « émancipation pratique » – entendu que toute propension à légiférer ou à développer des procédures de compréhension sera rejetée au profit d’une méditation et de la clarification des conditions dans lesquelles s’établira cette compréhension.

Cette géographie hybride relationnelle, soit une « géosophie », science des affiliations homme-nature, culture-nature et sciences-nature, sera consciente de leurs nécessités et limites réciproques. En utilisant la littérature comme source d’inspiration pour enrichir sa réflexion globale, il n’est pas dit que la géographie ne deviendra pas prospective, éventuellement imaginaire. L’emploi de la science-fiction entame un processus inédit afin d’ouvrir le connu, découvrir d’autres mondes de la pratique spatiale. Similaire inclination ne relève pourtant pas de l’utopie. Le droit de rêver ne peut-il être revendiqué par le géographe, surtout si celui-ci transcende le quotidien ? 

Table des matières
Préface i
Table des matières iv
Liste des figures vii
Nomenclature des abréviations employées viii

EXORDE : PRÉMISSE CONTEXTUELLE ET PREMIÈRE INCURSION GÉOGRAPHIQUE EN SCIENCE-FICTION 1
Première incursion géographique en la science-fiction 4

CHAPITRE 1 : LA SCIENCE-FICTION 8
1.1 Essai d’une définition 9
1.2 Les écoles, les genres, les thèmes et l’historique de la SF 12
1.3 La SF est essentielle 27

CHAPITRE 2 : MÉTHODE ET PROCESSUS OPÉRATIONNEL 31
2.1 La problématique et les hypothèses 31
2.2 L’origine et la constitution des grilles d’analyse 32
2.3 Les thèmes retenus 35
2.4 L’échantillonnage 38
2.5 Les procédés opérationnels 49

CHAPITRE  3 : LA SF EST-ELLE UNE LITTÉRATURE TIMORÉE ? 51
3.1 Le portrait-type imaginaire des auteurs de SF 51
3.2 L’analyse 53
3.3 Lecture des données recueillies 53
3.3.1 L’homme 53
3.3.2 La société 55
3.3.3 La culture 59
3.3.4 Les sciences et techniques 63
3.3.5 Le progrès 66
3.3.6 La nature 68
3.3.7 L’espace 71
3.3.8 Le temps 73
3.3.9 La réalité historique 76
3.3.10 Le message 79

3.4 L’école optimiste versus l’école pessimiste 81
3.4.1 Les caractéristiques de chaque école 81
3.4.2 L’étude comparative des deux écoles 84
3.4.3 La relativisation de la division apologie versus critique 86
3.5 Premières constatations sur le discours de la SF 88

CHAPITRE  4 : CONFRONTATION DE LA SF AVEC DES CHRONIQUES LITTÉRAIRES RÉFLEXIVES 91
4.1 La SF, renouveau mythologique d’ascendance utopique 91
4.2 Le progrès industriel, aliénataire et conditionnant 96
4.3 La culture, outil justificateur des impérialismes 102
4.4 Les sciences et techniques, créatures impudentes 105
4.5 L’homme, partie intégrante de la nature 107
4.6 À la recherche d’une temporalité cyclique 110
4.7 La dénaturation de l’espace géographique 112
4.8 La SF versus une réalité 115
4.9 La SF, littérature ludique et cognitive 118

CHAPITRE 5 : VERS UNE APPROCHE GÉOGRAPHIQUE DE LA SF 123
5.1 De la géographie traditionnelle à la géographie appliquée 124
5.2 La géographie appliquée 125
5.3 Les nouvelles géographies 128
5.3.1 La géographie radicale 129
5.3.2 La géographie critique 131
5.3.3 La géographie humaniste 133
5.4 La nécessité d’une géographie holistique et théorique 135
5.5 La science-fiction, adjuvant géographique 140

APOLOGIE D’UNE GÉOSOPHIE 148 

Notes 157
Bibliographie des romans de science-fiction 160
Bibliographie générale 162