À propos de cette édition

Éditeur
Héritage
Titre et numéro de la collection
Échos
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
234
Lieu
Saint-Lambert
Année de parution
1991
ISBN
9782762567595
Support
Papier
Illustration

Résumé/Sommaire

Commentaires

Vous le saviez peut-être ? Laurent Lachance est l’auteur et le producteur de la célèbre série Passe-Partout. Mais c’est à nous les grands qu’il offre son premier livre de fiction : Ailleurs plutôt que demain… Ce recueil regroupe neuf contes fantastiques, la plupart très brefs, dont l’écriture rappelle à maints égards le Roch Carrier des Jolis Deuils. Même sensibilité poétique, même foisonnement d’images, même dérèglement absurde de la nature, même traversée des apparences. Mais les contes se distinguent nettement dans la mesure où l’auteur cherche fondamentalement à favoriser l’apprentissage de soi par l’insertion de l’irrationnel et du spirituel dans nos vies réglementées. Ces neuf textes fantastiques sont enfin suivis d’un très long récit initiatique : « L’Île du Chila-Chila ».

Spécialiste de l’interprétation des rêves, Lachance prend un malin plaisir à mettre sens dessus dessous mots et images. Une maille à l’envers, une maille à l’endroit. Des boules d’images nous sont lancées à la tête. Des boules de cristal nous indiquent les sentiers à emprunter… Histoire de nous faire rêver peut-être… Tout prétexte semble bon à faire basculer dans l’ailleurs. Le temps se détraque, la nature joue les capricieuses, des objets se mettent à vivre, un homme est projeté dans l’invisible, un poulpe philosophe, un plongeur rencontre un lutin au fond des eaux, un homme se perd dans le Pays sans retour, etc. Lachance sème le désordre avec humour et fantaisie ; il s’amuse et nous amuse indéniablement, à la manière des surréalistes, tout en suscitant la réflexion.

Le discours de Lachance colle de près à un courant idéologique dominant des années 1980. Les gens abandonnent les grandes causes collectives pour se consacrer à leur propre personne : c’est la recherche d’une âme saine dans un corps sain, la recherche d’un équilibre intérieur, d’une harmonie avec soi. Les gens cherchent à renouer avec la dimension spirituelle. Les personnages du recueil de Lachance entreprennent de la même manière, souvent malgré eux, des voyages qui les conduisent au-delà d’eux-mêmes, les obligeant à se reconsidérer et à reconsidérer leur rapport à la réalité matérielle et spirituelle.

Quant à « L’Île du Chila-Chila », long conte allégorique et initiatique, il met en scène un mouton naïf échoué sur une île à la suite d’un naufrage. D’où ce surnom de « vomi-de-la-mer ». La venue de ce messie de laine bouleverse tranquillement l’ordre établi. Le Grand Chila-Chila et le Grand-Hutin savent le temps de la « r’évolution » arrivé. Mais les habitants de l’île (les garguenouilles, les coccilanelles, les luminœils, les arrimines, etc.), dont les comportements bien typés évoquent ceux des humains, refusent tout changement. C’est la révolte. Le mouton est tenu responsable du dérèglement ; il est pourchassé, tué. Il accède à un nouvel ailleurs (autre dimension), fusionne avec les esprits du Chila-Chila et du Grand-Hutin. Nous assistons à la naissance du Chila de la Terre-nous, un être complet, parfait.

« L’Île du Chila-Chila » rappelle Le Petit Prince de Saint-Exupéry et les œuvres de l’Américain Richard Bach. On y retrouve une dénonciation des petits travers de la nature humaine, une recherche d’équilibre personnel sans lequel l’équilibre social ne saurait être atteint. Saint-Exupéry choisit le désert comme lieu d’exploration de soi, Richard Bach le ciel. Laurent Lachance opte quant à lui pour une île imaginaire. Tous représentent des lieux « naturels », sans limite. À la dimension de l’homme.

Dans la préface du recueil, Angèle Delaunois prépare le lecteur à cette allégorie audacieuse sur le plan de l’écriture. Audace ? Laurent Lachance déforme littéralement la syntaxe et les mots de la langue française pour reconstituer un langage à la mesure/démesure du propos. Un langage déroutant mais cohérent, une syntaxe différente mais non gratuite, et des jeux rythmiques qui ajoutent à la musicalité de cette langue nouvelle. Lachance pétrit le langage pour en faire ressortir les forces naïves, primitives, poétiques. Vous voulez des exemples ? « Un couple d’Adirond’ailes, qui allaient toujours d’amour par-deux, festonnèrent l’air et posèrent leur arrivée sur l’épaule du Chila-Chila » ; ou «…la pluie se mit à goutter. Le temps de pluie mit mes sabots glissants à poser. Puis, je manquai un sabot et faillis tomber comme pierre d’avalanche. Je fis halte d’abri sous un pérommier de montagne et fermai l’œil pour retrouver en dedans le paradis. Là, j’eus un petit dormi. Quand j’ouvris le regard, le soleil faisait son dernier pas. » Pendant près de 150 pages ! C’est tantôt déroutant, tantôt absolument fascinant.

L’exercice de décodage reste exigeant, même si le rythme et les tournures finissent par nous entrer dans la peau. Car il y a aussi à décoder les personnages types représentés, la pensée symbolique pour ne pas dire charismatique… Chose certaine, il faut une souplesse de cœur et d’esprit pour mener à terme cette histoire.

Vous me demandez ce qui domine tout compte fait dans ce premier recueil de Laurent Lachance ? L’amour du verbe et l’attrait de l’ailleurs. Cet ailleurs qui nous ramène irrémédiablement à soi. [RP]

  • Source : L'ASFFQ 1991, Le Passeur, p. 96-99.

Références

  • Lessard, Josée, Lurelu, vol. 15, n˚ 1, p. 20.