À propos de cette édition

Langue
Français
Éditeur
Du Jour
Titre et numéro de la collection
Les romanciers du jour - 38
Genre
Fantastique
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
182
Lieu
Montréal
Année de parution
1969
Support
Papier

Résumé/Sommaire

À la mort de Charles Halsig, un cousin éloigné, François Laplante père hérite d’un village et d’une villa au Paganka, pays situé « quelque part en Afrique ». C’est dans cette villa qu’il découvre un objet étonnant : un œuf qui semble fait en verre, mais qui est incassable et plus éclatant que le verre, et à l’intérieur duquel se meut une épaisse vapeur verte. François a cependant tôt fait de s’apercevoir que les gens de son village ont une peur irrépressible de l’œuf. Aussitôt qu’ils apprennent qu’il l’a en sa possession, ils exigent qu’il le jette à la mer, car il contient « le pouvoir des hommes de la Planète Verte ». François refuse et s’enfuit avec l’œuf, pour ne plus jamais revenir au Paganka.

Des années plus tard, il décide de donner l’œuf à François, son fils de douze ans. Ce dernier est fasciné par cet œuf qu’il passe des heures à examiner, à toucher, à caresser. Un soir, alors que la boule de verre n’a plus sa couleur habituelle, François se retrouve dans l’Œuf, dans le Vert. Il est un monstre, est entouré d’autres monstres et attend un signal pour aller tuer Charles Halsig. A-t-il rêvé ? Toujours est-il qu’au cours de son adolescence, il se retrouve une autre fois dans l’Œuf, mais cette fois, au fond du Vert, il aperçoit une immense et merveilleuse Cité, une Cité qui l’appelle. Il en rêvera pendant des années avant de pouvoir finalement y pénétrer. Quand il y parvient, toutefois, la Cité ne possède plus la splendeur et la richesse qu’elle avait dans ses visions : elle est dévastée, poussiéreuse, délabrée.

Au cours d’un périple cauchemardesque qui le mènera du quartier de Ghô au quartier d’Ismonde et M’Ghara (la déesse-mère et le père de tous les dieux), en passant par les quartiers de Lounia, d’Anaghwalep et Waptuolep et de Wolftung, François apprendra que la Cité est ainsi et que les dieux sont confinés dans leurs quartiers respectifs depuis que la lune s’est emparée, au détriment de la Planète Verte, des pouvoirs de l’Œuf et du cerveau de certains dieux, dont Ghô. Ce dernier, sous l’influence de la lune, s’est mis à insulter sa mère Ismonde qui, pour le punir, a détruit sa beauté et l’a transformé en nain hideux, condamnant ainsi, sans le savoir, la Cité à mourir. Car Ghô a juré de détruire la Cité en tuant une à une les Khjoens, les déesses qui crient le temps et qui se trouvent dans son quartier. Mais les autres dieux aussi réclament les Khjoens et enjoignent François de les leur ramener, certains pour détruire la Cité, d’autres, au contraire, pour lui permettre de vivre éternellement et pour sauver la Terre. Car l’Œuf, issu de la Planète Verte, est le berceau de toutes les civilisations terrestres. Des enseignements de ses envoyés, les Grands Initiés, sont nées les civilisations de l’Atlantide et de la Terre de Mû. Mais lorsque la lune s’est emparée de l’Œuf, des dieux devenus fous se sont échappés de la Cité pour fonder des religions nouvelles sur Terre, provoquant ainsi une guerre mortelle entre les deux civilisations terrestres qui se sont entretuées pour une question d’idoles. Sauver la Cité permettrait à l’Atlantide et à la Terre de Mû de renaître. Mais Ghô a déjà commencé son travail de destruction et François n’est pas certain de vouloir devenir un Grand Initié…

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Commentaires

Tout cela, c’est François Laplante fils lui-même qui le raconte, dans un récit au « je » d’où ne sont absents ni l’émotion ni l’humour, pour témoigner de ce qu’il a vécu. Donnant son histoire pour vraie, Michel Tremblay prétend, dans le préambule, qu’il s’agit d’un véritable manuscrit trouvé dans la maison Laplante, qu’il a fidèlement recopié en ne se permettant aucune retouche, excepté celle de le séparer en différentes parties. Il affirme même être convaincu de la véracité de cette histoire. Le procédé est intéressant, mais l’artifice littéraire est trop connu pour que le lecteur un tant soit peu averti y ajoute réellement foi. Rien ne l’empêche, cependant, de jouer le jeu voulu par l’auteur et de croire, l’espace d’une lecture, au monde délirant contenu dans l’Œuf.

Monde délirant, certes, que celui de la Cité, avec ses dieux, ses êtres et ses monstres tous plus extraordinaires les uns que les autres, mais aussi monde ambigu et insaisissable, peuplé à la fois de créatures hideuses qui ont autrefois été très belles (Ghô) et d’êtres magnifiques qui peuvent se transformer en monstres repoussants (le dieu Wolftung qui se transforme en horrible monstre mi-reptile, mi-oiseau quand il ne reste plus que quatre Khjoens dans la Cité). Ce monde, sans cesse mouvant, est-il bon ou mauvais ? Est-il préférable de le détruire ou faut-il au contraire tenter de le sauver ? C’est ce que François Laplante devra déterminer au cours d’un périple qui a tout d’un parcours initiatique.

En effet, quand il entre pour la première fois dans l’Œuf et aussi quand il voit la Cité pour la première fois, au loin, François est adolescent. La découverte du phénomène fantastique coïncide donc avec sa propre entrée dans la vie, il est prêt à tout attendre de l’existence, prêt par là même à rencontrer le phénomène. Quand il réussit à entrer dans la Cité, des années plus tard, il pénètre dans un sanctuaire où se multiplient les couloirs et les portes. Plus il avance, plus il fait noir et plus il entend des bruits inquiétants de pas qui le suivent. Mais il ne perd pas espoir, malgré sa panique, d’arriver au bout de ce dédale et il continue son chemin. Ghô, qui l’a observé depuis le début et qui a multiplié les couloirs et les portes pour mesurer son courage, est impressionné et décide que François peut lui être utile. Il l’initie, bribes par bribes, à ce monde étrange, mais François ne croit pas devoir lui faire confiance et s’enfuit. Il voyage dans les quartiers des autres dieux, toujours à la recherche de ce qu’il est préférable de faire, mais il n’arrive pas à décider. Même la fin du roman n’apporte pas de réponse.

Rentré dans son univers, François sait que les dieux de l’Œuf vont revenir le chercher, il les entend et il veut devenir un Grand Initié pour sauver la Terre ; pourtant, dans un autre passage, inséré plus tôt dans la structure du roman, François entend les dieux qui s’en viennent le chercher, mais il ne veut pas devenir un Grand Initié. On pourrait ici conclure à l’échec de la quête initiatique si ce n’était du préambule où Tremblay affirme que l’on n’a jamais retrouvé l’Œuf ni le corps de François Laplante, ce qui semble indiquer que ce dernier a finalement accepté de devenir un Grand Initié et que l’Œuf est retourné sur la Planète Verte. Cependant, rien n’est certain.

L’ambiguïté du monde de l’Œuf est donc symbolisée par l’ambivalence de François, mais aussi, au plan stylistique, par les nombreuses antithèses utilisées pour le décrire : monde à la fois « merveilleux et répugnant », « abominable et sublime », théâtre d’« horreurs sans nom et de beautés incomparables » où François s’est introduit « pour [son] grand malheur ! Pour [son] grand bonheur ! », monde rempli de « statues vivantes » et de monstres dont François « ignore le nom et pourtant dont [il] sait le nom, dont [il] ignore l’histoire et pourtant dont [il] pourrait raconter l’histoire », le monde de la Cité est un monde fuyant, mouvant, insaisissable, contrairement au monde que l’on connaît qui est, lui, bien en place.

Selon les dieux de la Cité, c’est de cet Œuf mystérieux que seraient issues les civilisations terrestres, ce seraient les Grands Initiés de la Cité qui auraient permis de bâtir l’Atlantide et la Terre de Mû. Ce que Michel Tremblay nous propose donc avec son roman, c’est un nouveau mythe de la Création, ni plus ni moins. Et ce roman regorge de symboles tous plus signifiants les uns que les autres : l’Œuf, à l’instar de ce que l’on retrouve dans de nombreux mythes de la Création, symbolise la matière première dont est issu notre univers ; le labyrinthe représente un parcours initiatique ; les oiseaux-hyènes qui gardent la Cité et qui aident François à y entrer sont à la fois des messagers et des auxiliaires des dieux (comme les oiseaux dans la Rome antique) et des présages de mort (comme la hyène dans de nombreux mythes). Il faut également remarquer que la Cité compte cinq quartiers, de cinq couleurs différentes. Or, dans la symbolique des nombres, le cinq est le symbole du microcosme. En outre, quand Ismonde se rend compte que Ghô a tué deux autres Khjoens et qu’il n’en reste plus que deux, elle se résigne à mourir et frappe sept coups de gong : toujours selon la symbolique des nombres, le sept est le chiffre qui représente l’achèvement d’un cycle.

Dans ce roman donc, rien ne semble laissé au hasard, tout est méticuleusement travaillé… excepté la langue. Nous ne parlons pas ici du style, qui rend très bien l’atmosphère et qui colle à l’univers étrange et mystérieux de la Cité, mais plutôt des (trop) nombreuses fautes que l’on retrouve dans le texte. Nous en avons en effet compté trente et ce ne sont pas que des erreurs de frappe. Les fautes de grammaire et de vocabulaire côtoient les fautes d’orthographe, qui sont les plus abondantes. L’éditeur aurait eu avantage à réviser le texte, car des erreurs de français en si grande quantité ne font pas très sérieux. Ce défaut ne parvient cependant pas à éclipser les qualités de l’œuvre, par ailleurs très riche, et c’est pourquoi nous pouvons conclure que La Cité dans l’œuf, l’un des premiers romans fantastiques contemporains de la littérature québécoise et premier roman de Michel Tremblay, est une œuvre très réussie dont l’auteur peut être fier. [SN]

  • Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 200-204.

Références

  • Fortier, André, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec IV, p. 178-180.
  • Lord, Michel, L'ASFFQ 1985, p. 126-129.
  • Spehner, Norbert, Requiem 8, p. 14-15.