À propos de cette édition

Langue
Français
Éditeur
Stanké
Titre et numéro de la collection
10-10 - 74
Genre
Fantastique
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
191
Lieu
Montréal
Année de parution
1985
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Un homme prétend avoir trouvé un manuscrit sous les décombres d'une maison brûlée à Montréal, et avoue qu'il réécrit ce manuscrit à sa façon. On y raconte d'abord l'histoire de François Laplante père qui entre en possession d'un héritage, qu'il va lui-même chercher à Paganka, un village africain, un héritage qui comporte un Œuf mystérieux. Laplante père revient au Québec, range son œuf et l'oublie jusqu'au jour où il en fait cadeau à son fils qui tombe sous son influence. On a droit alors à l'histoire de François Laplante fils, à sa fascination pour l'Œuf et à son voyage en son intérieur même : il y pénètre après l'avoir comtemplé à la faveur d'un soir de pleine lune, sur les marches de sa galerie, à Outremont, après un grand vertige. Le sacré et la plongée dans le rêve sont ici intimement mêlés. Ce qui donne un autre récit dans le récit qui prend cette fois-ci la forme d'une traversée à travers les cinq quartiers de la Cité dans l'Œuf. Celle-ci est habitée par des dieux (Ghô, Lounia, Anaghwalep et Waptuolep, Wolftung, Ismonde et M'ghara) qui se meurent mais qui se querellent encore vigoureusement entre eux. L'un des dieux, Wolftung, d'une beauté incroyable, finit par confier à François Laplante la mission de sauver l'univers en permettant aux dieux d'échapper à la destruction : « Tu peux redonner à ta planète le bonheur qu'elle a perdu depuis des millénaires, François Laplante. [Ce qui fait dire à Laplante :] Je savais maintenant pourquoi j'étais venu dans l'Œuf : j'étais le Sauveur du Monde ! […] mon cerveau ne m'appartenait plus ! » De retour à la « réalité », c'est-à-dire à Montréal, Laplante fils demeure toujours hanté par son voyage. Sans être vraiment fou, il est convaincu de l'existence des dieux déchus qu'il a rencontrés. Il entend encore leur appel et implore la pitié de Dieu en ces termes : « Dieu Tout-Puissant, vous qui dirigez la destinée de la création, vous que M'ghara lui-même appelait à son secours dans le palais de plomb, SI VOUS EXISTEZ QUELQUE PART, AYEZ PITIE DE MOI ! »

Première parution

Cité dans l'œuf (La) 1969

Autres parutions

Commentaires

Cette réédition nous rappelle que La Cité dans l'œuf est le premier roman fantastique québécois contemporain.

Il y avait bien eu, bien sûr, L'influence d'un livre de Philippe Aubert de Gaspé fils en l837, qui, en plus d'être le premier roman québécois, contenait aussi beaucoup d'éléments de type fantastique gothique. Mais dans l'ensemble, à part deux contes folkloriques insérés dans la trame narrative, le roman n'était pas vraiment fantastique, mais apparaissait plutôt comme une parodie des romans gothiques.

Pour revenir aux années l960, je souligne que si Tremblay publie le premier roman résolument fantastique, il n'est pas le seul, à ce moment, à publier du fantastique. Mentionnons, entre autres, les noms de Roch Carrier, de Claude Mathieu et de Jean Tétreau. Tremblay avait d'ailleurs lui-même publié un recueil de contes fantastiques en l966, les Contes pour buveurs attardés. Mais les auteurs fantastiques sont tout de même encore peu nombreux au Québec avant l970 et la tradition fantastique y demeure encore pratiquement inexistante. Ce qui fait qu'on est en droit d'attacher une si grande importance à La Cité dans l'œuf.

La Cité dans l'œuf, à une époque où la thématique portait surtout sur le pays à faire, apparaît donc comme une sorte d'exception dans le contexte socio-culturel québécois des années soixante. Pas de prise de position politique locale, mais une sensibilité universelle, plus près d'une conscience planétaire et mythique que d'une conscience strictement québécoise.

[Pour la petite histoire du texte, soulignons qu'au moment de la rédaction de son roman, Michel Tremblay jouissait d'une bourse du Conseil des Arts et vivait au Mexique. Il composait en même temps que ce dernier sa pièce intitulée La Duchesse de Langeais, œuvre à la fois lyrique et d'un réalisme assez cru.]

Tremblay a avoué en interview que La Cité dans l'œuf c'était lui (comme Flaubert avait dit « Madame Bovary c'est moi »). C'est sans doute que grâce au fantastique, il pouvait non pas échapper au réel, mais se retrouver dans ce qu'il y avait de plus fondamental en lui : le monde des rêves, de l'inconscient ? Ce roman est en fait le récit d'une grande quête mythique vécue sur le mode tragique. C'est la recherche d'une nouvelle harmonie universelle, harmonie perdue depuis longtemps. Une sorte de recherche du Temps perdu en fait. Mais bien que tout ça ait l'air très personnel, je soupçonne l'auteur d'avoir lu abondamment Lovecraft et Jean Ray à cette époque. Son roman en porte des marques évidentes.

D'abord à la surface, cela transparaît dans les noms des personnages et des lieux. Tremblay baptise les dieux de La Cité dans l'œuf de nom comme M'ghara, Anaghwalep et de Waptuolep, Lovecraft parle des divinités Cthulhu et Nyarlatothep. On pourrait multiplier encore les exemples et comparer Kadath, la cité mythique d'un cycle lovecraftien (voir Démons et merveilles), à la non moins mythique cité de Paganka où les personnages de Tremblay vouent un culte à M'ghara.

Un peu plus en profondeur, on note aussi une parenté entre le personnage de Randolph Carter du cycle de Kadath de Lovecraft, et le personnage d'Anatole Laplante de La Cité dans l'œuf. Chacun fait une sorte de voyage mi-onirique mi-réel dans un univers mythique qui semble correspondre dans les deux cas au monde du rêve entretenu depuis l'enfance. Les noms de Novalis, de Nerval et de Lord Dunsany nous viennent aussi à l'esprit parmi les influences possibles.

En ce qui concerne Jean Ray, Tremblay semble s'être inspiré de Malpertuis, mais au contraire de l'écrivain belge, il ne fait pas descendre les dieux dans l'univers des hommes, mais fait pénétrer son personnage dans l'univers des dieux déchus et emprisonnés dans l'Œuf,attendant qu'un homme vienne les délivrer. Les dieux ont besoin des hommes, et les hommes ont besoin de mythes pour aider le monde à mieux vivre. C'est du moins ce que semble nous dire ce roman.

Quant à la technique narrative, elle est tout à fait dans l'esprit de la tradition fantastique : manuscrit trouvé, narrateur qui dit ne faire que rapporter les paroles contenues dans le manuscrit mais qui en est aussi troublé que si c'était lui qui avait vécu l'expérience fantastique : Tremblay exploite la confusion des niveaux de narration et des niveaux de visions rationnels et irrationnels des personnages. On nage à mi-chemin entre l'univers mythique et celui de la raison.

Ce qui fait évidemment de ce roman une œuvre fantastique et non une œuvre de science-fiction, même si le personnage principal semble voyager sur une autre planète ou dans un monde parallèle. Il ne faut pas oublier que cette planète tient dans le creux de la main et que le héros y pénètre, comme en rêve, après avoir éprouvé, par un très chaude journée d'été à Montréal, « un grand vertige » (p. 69) – c'est l'expression qui est employée – à la faveur d'une influence lunaire.

L'univers parallèle de l'Œuf est bel et bien un univers fantastique si on le replace aussi dans son contexte narratif : au début du roman, il y a un narrateur-présentateur Outremontais troublé par la lecture d'un manuscrit trouvé, et, à la fin, un narrateur-protagoniste un peu fou qui entend l'appel des dieux à Outremont.

Tremblay faisait visiblement ses gammes. Il serait peut-être plus juste de dire que La Cité dans l'œuf est une étude ou une brillante série de variations narratives sur un thème fantastique. Toutefois, malgré ces réserves, l'œuvre ne m'a pas semblé avoir vieilli outre mesure après 16 ans. Cela est sans doute dû à la sobriété le l'écriture. Elle porte la marque d'un très bon conteur, occupé à envoûter son lecteur, comme le flutiste son serpent ! Cette réédition remet donc en circulation un excellent ouvrage. [MLo]

  • Source : L'ASFFQ 1985, Le Passeur, p. 126-129.