À propos de cette édition

Éditeur
Pierre Tisseyre
Titre et numéro de la collection
Chacal - 9
Genre
Science-fiction
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
263
Lieu
Saint-Laurent
Année de parution
2000
ISBN
9782890517691
Support
Papier
Illustration

Commentaires

Avec Demain, les étoiles, Jean-Louis Trudel signe un recueil de huit nouvelles, dont quatre inédites, qui composent une histoire du futur se déroulant sur Terre et dans l’espace. Un personnage central, le négociant interstellaire Felipe Marín de Vega, relie subtilement la plupart de ces histoires qui font beaucoup de place à l’aventure. Nous pourrions même affirmer que la figure du négociant relie toutes les histoires puisque dans les deux nouvelles où il n’est pas présent (les deux premières du recueil, « Le Berger de comètes » et « Les Sculpteurs de Mars »), on retrouve deux de ses ancêtres, Daliane Marín et Julio Marín. C’est là un procédé efficace pour assurer l’unité d’un ouvrage dont les nouvelles se déroulent à des époques et en des lieux différents.

Chacune des nouvelles de Demain, les étoiles constitue donc un épisode d’une histoire du futur, histoire qui débute en 2208 avec « Le Berger de comètes » pour se terminer un millier d’années plus tard, en 3211, avec « Lukas 19 ». Bien que les nouvelles soient très variées, un thème leur est commun : l’amitié. L’amitié naissante, l’amitié qui dure depuis longtemps et pour laquelle on ferait bien des sacrifices, l’amitié qui se brise… Le thème est bien exploité. Il est aussi beaucoup question d’intolérance et de racisme, mais pas entre les différents peuples de la Terre qui forment maintenant une immense Fédération. Le problème s’est déplacé et le racisme est plutôt dirigé vers les peuples extraterrestres. Il existe même un vaste réseau « humanocentriste » qui, comme on l’apprend dans « Un été à Rome », prône la supériorité des humains sur toutes les autres races intelligentes de l’Univers. Toutefois, bien qu’il constitue l’un des thèmes majeurs du recueil, le racisme n’y est pas pour autant glorifié. Les personnages principaux des nouvelles adoptent en effet une attitude antiraciste et s’entendent bien avec les peuples extraterrestres. La tolérance fait contrepoids au sectarisme. L’amour filial est également un thème important dans le recueil : de William Opaluk qui sait que son père a commis un meurtre, mais qui se tait toute sa vie par amour pour lui (« Différences culturelles ») à Lukas 19, clone d’un chanteur célèbre qui vit douloureusement le fait de n’avoir ni parents ni famille (« Lukas 19 »), le sujet est traité de plusieurs façons différentes. On constate que peu importent les époques, que l’on soit sur Terre ou sur les planètes les plus lointaines, les sentiments humains restent les mêmes.

Demain, les étoiles aurait donc pu constituer un excellent recueil. Malheureusement, ce n’est pas le cas. En effet, on ne croit pas aux mondes qui nous sont racontés, on ne croit pas vraiment à cette histoire du futur. Le problème majeur réside dans le fait que les nouvelles n’adoptent pas le point de vue du futur, mais plutôt celui de notre époque, si bien qu’on relève des traces de « présentocentrisme » un peu partout. Dans « Un été à Rome », par exemple, Paul Lafond, guide touristique pour extraterrestres, nous décrit le peuple des Ayas, nous dit d’où ils viennent, précise que le « hinyera », langue que lui-même parle couramment, est la langue de ce peuple extraterrestre. Or, si les Ayas sont connus au point que l’on puisse étudier leur langue et même le fonctionnement de leur esprit à l’université, comme Paul l’a fait, quel besoin est-il de les décrire et de nous donner ces renseignements qui, de toute évidence, sont connus des gens du futur ? Les nouvelles du recueil sont trop tournées vers notre présent pour que l’on puisse vraiment basculer dans l’espace de la différence. On ne se sent pas dépaysé, ce qui est plutôt étonnant quand on considère que ces histoires se déroulent à des centaines d’années de notre époque.

En outre, la psychologie des personnages aurait grandement gagné à être développée. À l’exception de la dernière nouvelle du recueil (la meilleure de l’ouvrage à tous les points de vue) où le personnage de Lukas 19 nous touche réellement, les personnages des nouvelles n’ont aucune profondeur et les raisons de leurs actions nous échappent parfois totalement. Dans « La Première Cicatrice », pour ne donner qu’un exemple, le personnage de Judith Phipps, une adolescente, aperçoit Felipe dans un paysage désolé et craint qu’il ne soit un espion. Au lieu de le suivre de loin ou d’agir de façon subtile, Judith l’aborde par ces mots : « Halte-là ! Êtes-vous un espion de la Ligue ? ». Les exemples de ce genre sont nombreux dans le recueil, ce qui fait que les personnages manquent de crédibilité.

La vraisemblance de l’histoire du futur racontée dans Demain, les étoiles se voit également affectée par les références constantes à Felipe Marín de Vega. Nous avons dit plus haut que ce procédé est efficace pour assurer l’unité du recueil, mais son utilisation est maladroite ici. En effet, le personnage de Felipe est né vers la fin des années 2300 et a vécu environ cent vingt ans. Or, trois cents ans après sa mort, en 2766 (époque à laquelle se déroule « Demain l’espoir »), on diffuse encore ses aventures sur l’holovision et le feuilleton est toujours très populaire… D’ailleurs, à propos de l’holovision, comment expliquer qu’une technologie qui existait déjà dans les années 2300 (« Noël, à treize années-lumière de la Terre ») existe toujours et est toujours d’usage courant à la fin des années 2700 (« Demain l’espoir ») ? C’est comme s’il n’y avait eu aucune évolution en quatre cents ans !

On nous rétorquera peut-être que ce recueil s’adresse à des adolescents qui ne remarqueront pas toutes ces subtilités narratives. Nous croyons cependant que les nombreuses faiblesses de l’ouvrage ne peuvent être excusées par le fait qu’il soit destiné à un jeune public. Quand on sait ce dont Jean-Louis Trudel est capable, on peut affirmer qu’il aurait gagné à travailler davantage certains aspects des nouvelles de Demain, les étoiles. On aurait pu ainsi céder, comme il nous le demande dans sa préface, « à l’illusion d’une histoire du futur, épisode par épisode ». [SN]

  • Source : L'ASFFQ 2000, Alire, p. 170-174.

Prix et mentions

Grand Prix de la science-fiction et du fantastique québécois 2001

Prix Aurora 2001 (Meilleur livre)

Références

  • Garneau, Dominic et Côté, Jean-Denis, Québec français 123, p. 106.
  • Lafrance, Pierre-Luc, Ailleurs 2, p. 82-84.