À propos de cette édition

Éditeur
William Cowan & fils
Genre
Fantastique
Longueur
Novella
Format
Livre
Pagination
122
Lieu
Québec
Année de parution
1837

Résumé/Sommaire

À Saint-Jean-Port-Joli, au cours des années 1820, Charles Amand veut obtenir le secret de la fabrication de l’or afin de devenir riche et, surtout, d’être reconnu par la société. Obsédé par la lecture du Petit Albert, un ouvrage alchimique, il cherche en vain à découvrir le secret de la pierre philosophale. Excédé par son insuccès, il tente de conjurer le diable puis de se faire chercheur de trésors. Dans ce but, il décide de s’emparer du bras d’un pendu afin d’en tirer une main-de-gloire, talisman capable d’ouvrir toutes les portes, ainsi qu’une chandelle magique, censée s’éteindre au-dessus d’un trésor enterré.

Tout au long de sa quête de la main-de-gloire, la route de Charles Amand croisera celle de deux autres personnages : Joseph Lepage, un assassin, et surtout Eugène de Saint-Céran, amant de sa fille Amélie et jeune débauché qui finira par devenir médecin. Lepage tue un colporteur afin de le détrousser, est dénoncé par Saint-Céran et arrêté. Durant la nuit de garde qui précède le départ de Lepage pour Québec (où il sera jugé et pendu), Saint-Céran et quelques autres volontaires chargés de le surveiller écoutent la légende de Rose Latulipe, qui dansa avec le Diable.

Quelque temps après, Charles Amand profite d’une visite à la chambre d’autopsie de Québec pour dérober un des bras du cadavre de Joseph Lepage. Sur le chemin du retour, il rend visite à la Mère Nollet, une célèbre sorcière, et fait ensuite halte chez Joseph Amand, un de ses oncles, alors que les moissons viennent de s’achever et que la maisonnée s’apprête à célébrer l’événement. Lorsque, au cours de la soirée, Amand et les autres convives discutent de la réalité de l’existence du Diable, un vieux mendiant, anciennement surnommé Rodrigue « Bras-de-fer », raconte dans quelles circonstances il a, lui, vu le Diable, une vision terrible qui l’a jeté sur les chemins, le transformant en spectre vivant.

Après être rentré chez lui, Charles Amand fait appel aux talents et à la chaloupe de Capistrau (un homme doté d’une bouche monstrueuse) afin de tenter de pénétrer dans la caverne du Cap au Corbeau où il pense pouvoir trouver un trésor englouti. Jugeant l’opération impossible, Capistrau convainc l’alchimiste d’utiliser plutôt sa chandelle magique afin de découvrir un autre trésor que, selon la rumeur publique, un seigneur des environs aurait enterré non loin de là. Deux étudiants farceurs, témoins de leurs recherches, en profitent pour leur jouer un tour en leur faisant déterrer un faux trésor.

Lorsque Amand et Capistrau, de retour dans leur chaloupe, découvrent la nature du faux trésor en question, Capistrau s’empresse de le jeter par-dessus bord (le narrateur, cependant, demeure parfaitement muet quant à la nature de ce faux trésor qui stupéfie Amand et demande, pour être jeté à l’eau, tout le sang-froid de Capistrau).

Une tempête se lève alors, tempête au cours de laquelle la Sirène, le navire pirate du capitaine Clenricard, échappe de justesse au King Fisher, un vaisseau lancé à sa poursuite. Le lendemain, l’équipage de la Sirène recueille au milieu du fleuve Charles Amand, protégé par la main-de-gloire qu’il porte toujours sur lui, dissimulée sous sa chemise. Capistrau, lui, est mort noyé.

Décidé à ne débarquer son passager nulle part ailleurs que sur l’Anticoste vers laquelle il fait voile, Clenricard, enchanté d’apprendre que Charles Amand est ouvrier, le prend à son service. Amand demeure cinq ans sur l’île, travaillant le moins possible et occupant tous ses temps libres à inspecter les rochers près desquels pourraient avoir sombré des vaisseaux. Il découvre un jour une petite caisse qui contient cinq cents piastres et devient riche.

De retour à Québec, il retrouve Eugène de Saint-Céran et lui accorde à la hâte la main de sa fille. En guise de présent de noces, Saint-Céran prie Amand d’accepter le Dictionnaire des Merveilles de la Nature, que l’alchimiste reçoit gracieusement.

Son épouse étant morte et sa fille mariée, Charles Amand reste seul dans sa misérable cabane, coulant des jours heureux à étudier les mystères de la Nature.

Commentaires

Si je me suis permis d’effectuer ce résumé minutieux, c’est dans le but de mettre en relief ce que les détracteurs de L’Influence d’un livre lui reprochent et qui, dans le même temps, constitue pour ses admirateurs (dont je suis) le signe de son génie : ce roman est, de prime abord, hétéroclite. Le narrateur saute d’un personnage à un autre ou passe brutalement de la description d’une folle poursuite navale en pleine tempête à des considérations philosophico-sociales proférées par un jeune médecin cynique et blasé. De plus, deux légendes et plusieurs chansons entrecoupent le récit et certaines scènes qui auraient pu être spectaculaires (comme la pendaison de Lepage ou des opérations de résurrectionnistes) sont à peine évoquées.

Cette apparente absence de structure a été perçue par certains comme le signe de l’empêchement de l’auteur à contrôler son œuvre, simple reflet de l’empêchement de ses contemporains face au pays à construire.

D’autres analystes, comme Louis Lasnier, voient dans L’Influence d’un livre une œuvre forte. Philippe Aubert de Gaspé fils, loin de nier les courants inconscients du message qu’il avait à livrer, leur a permis de s’épanouir, ce qui a donné naissance au premier roman québécois.

Car, premier roman, L’Influence d’un livre l’est, et à plus d’un titre. Tout d’abord, son auteur le proclame lorsqu’il écrit : « J’offre à mon pays le premier roman de mœurs canadien ». À ma connaissance, aucun autre écrivain canadien n’a osé faire une telle déclaration. Cette auto-proclamation a donc force de loi.

Ensuite, L’Influence d’un livre est pour moi LE roman québécois, le synopsis de ce que toute une littérature a tenté et tente encore de réaliser, c’est-à-dire une alchimie entre le documentaire et la fiction, entre la magie et le réel, entre la tradition et l’inspiration. Il combine plusieurs styles en un tout harmonieux. À le lire, on pourrait même croire que c’est le seul texte qui précède la fameuse division imposée par l’abbé Casgrain, qui oppose à partir du milieu du dix-neuvième siècle le roman de la terre au roman d’aventures. L’Influence d’un livre, on a tendance à l’oublier, contient le germe de ces deux genres. Il est ce qu’aurait pu être tout roman québécois.

Enfin, il paraît à l’automne 1837, en pleine révolte des Patriotes et témoigne à ce titre de la transmutation d’un peuple empêché politiquement et militairement, d’un peuple qui rate la naissance des nationalismes du milieu du dix-neuvième siècle. Il est révélateur de constater que ce monde matériel dont nous avons été coupé à la suite des répressions de 1837 et 1838 est remplacé, avec l’avènement d’une littérature nationale, par un monde imaginaire dont le clergé prend le contrôle à son tour.

À un autre niveau, il est tout aussi intéressant d’observer les transformations que l’abbé Casgrain fait subir à L’Influence d’un livre lorsqu’il le réédite en 1864. En plus d’en censurer certains passages, comme les allusions à la sexualité et les citations d’auteurs à l’Index, il transforme son titre en Le Chercheur de trésors ou l’Influence d’un livre et change le nom de l’assassin en celui de Joseph Mareuil. Si Claude Lamy considère que la transformation du titre vise à profiter du succès littéraire d’un ouvrage très populaire en 1861 (Le Véritable Petit Albert ou Secret pour acquérir un trésor de Joseph-Norbert Duquet), André Senécal voit dans le changement de Lepage en Mareuil une petite pointe dirigée vers un certain lieutenant Mareuil, bouc émissaire du clergé… en 1694. Il est aussi possible, toujours selon Senécal, que l’abbé Casgrain, en changeant le nom de l’assassin, cherchait simplement à éviter que les lecteurs du Chercheur de trésors ne le confondent avec Carolus Lepage, un célèbre criminel des années 1840. Quoi qu’il en soit, Joseph Lepage alias Mareuil n’en était pas à sa première identité puisqu’il s’agirait (à l’instar de beaucoup d’autres figures du roman de Philippe Aubert de Gaspé fils comme la Mère Nollet et Charles Amand lui-même) d’un personnage historique : François Marois, alias Malouin, alias Lafage, qui fut condamné en 1829 à la suite du meurtre d’un colporteur. On peut donc s’amuser à situer les événements de L’Influence d’un livre au cours de cette année précise.

Un dernier mot sur l’abbé Casgrain. Il faut rappeler ici que, non content d’avoir censuré L’Influence d’un livre, il s’en attribue les droits d’auteur en 1876, ainsi que ceux des Anciens Canadiens de Philippe Aubert de Gaspé père, que l’on peut considérer comme une œuvre complémentaire.

Comme le signale Senécal, « on aura vite compris que l’abbé Casgrain préférait [publier] les œuvres d’écrivains décédés, puisqu’en tel cas, l’éditeur pouvait charitablement verser les droits d’auteur à l’Asile du Bon-Pasteur de Québec, au Séminaire et à d’autres institutions. Précisons que, pendant le reste de sa vie, Casgrain toucha des intérêts annuels allant de 6 à 8 % sur certains de ces “dons”. En 1886, par exemple, le Bon-Pasteur versera 516 $ à son bénéficiaire, somme considérable à l’époque, qui permettait au prélat de voyager en Europe et, avec grande magnificence, d’encourager la saine littérature du pays ».

Sur cette question et beaucoup d’autres, les études et analyses effectuées par Louis Lasnier, André Senécal et Claude Lamy sont plus savantes et complètes que celles que je pourrais ébaucher ici. Par conséquent, je les recommande fortement aux lecteurs et lectrices intéressés.

Pour ma part, sans avoir décortiqué notre premier roman d’une manière aussi systématique que Louis Lasnier, j’ai eu le plaisir de l’adapter pour la radio * en 1987, en l’honneur du cent cinquantième anniversaire de sa parution. L’adaptation qui, comme l’analyse, permet une lecture plus approfondie de l’œuvre, m’a permis de jouer avec sa structure et d’en mesurer la complexité. L’Influence d’un livre se plie aussi bien à la grille symétrique que j’utilise habituellement qu’à la lecture alchimique qu’en a fait Louis Lasnier.

En effet, constitué d’une série d’emboîtements, le roman commence et se termine dans la cabane de l’alchimiste. De plus, les apparitions de Lepage et de Clenricard, les deux figures diaboliques « contemporaines », sont provoquées par deux sacrifices (l’un, apparemment avorté et l’autre, involontaire) qui, chacun, mettent en scène un acolyte d’Amand : Dupont, qui refuse d’être lié à la poule noire (malgré son nom qui, à l’envers, se lit « pondu »), et Capistrau, dont la bouche-monstre l’attache à la caverne du Cap au Corbeau.

Les apparitions diaboliques de Lepage et de Clenricard sont suivies de deux transformations importantes de la vie de Saint-Céran. La première fait du débauché à peine revenu des pays d’en haut le dénonciateur de Lepage et la deuxième transfigure le jeune médecin cynique en tendre époux d’Amélie (de débauché, Saint-Céran devient donc le dénonciateur d’un assassin puis de la société avant de se métamorphoser en homme marié).

Ces deux triades (sacrifice / apparition diabolique / transformation de Saint-Céran) encadrent chacune une légende, « L’Étranger » et « L’Homme de Labrador » (peut-être rédigées toutes les deux par Philippe Aubert de Gaspé père).

Alors que la première légende est suivie du départ de Saint-Céran vers Québec (à la suite d’une rencontre romantique avec Amélie = famille potentielle), la seconde est précédée du retour de Charles Amand de Québec, retour au cours duquel il fait halte dans deux maisons, l’une pauvre et l’autre riche. La première est occupée par la vieille Nollet et une petite fille (que Louis Lasnier considère être les symboles de l’épouse et de la fille d’Amand) et la deuxième par la nombreuse et heureuse famille de Joseph Amand, oncle prospère de l’alchimiste et véritable chef de clan ( = famille épanouie).

Ces deux voyages (aller vers Québec et retour de Québec) encadrent à leur tour la scène de l’autopsie du cadavre de Lepage, scène au cours de laquelle Charles Amand vole le bras du pendu qui lui servira à créer sa main-de-gloire et point tournant du récit.

Attardons-nous un peu sur les deux légendes. Elles racontent les rencontres de Rose Latulipe et de Rodrigue Bras-de-fer avec le Diable et constituent en quelque sorte des rejets de l’Éros (Rose la coquette attirée par le Diable beau danseur) et du Thanatos (les pulsions meurtrières de Rodrigue) au profit de l’idéologie catholique. Certains, comme Heinz Weinmann, y voient même une anticipation de la théocratie qu’allait devenir le Québec à la suite des Troubles de 1837.

Chaque légende est incluse dans une veillée (l’une morbide, sur le site même d’un crime) et l’autre joyeuse. On a dit à tort que Charles Amand assistait à ces deux veillées. Pour ma part, je n’ai jamais trouvé la moindre indication selon laquelle Amand faisait partie des auditeurs de la légende de Rose Latulipe. Cependant, Lepage lui-même, ou tout au moins l’un de ses bras, est présent les deux fois.

Durant la première veillée, il fait semblant de dormir. Au cours de la deuxième, c’est le pouvoir latent de la main-de-gloire que va devenir son bras, dissimulé sous la chemise d’Amand, qui demeure en sommeil.

La légende de Rose Latulipe remonte à loin. Elle est racontée par le père Ducros, qui l’a entendue raconter dans son jeune temps par un vieillard qui la tenait lui-même de son grand-père. Le Diable qui y est mis en scène est donc très éloigné des auditeurs de la légende. Ceux qui, par contre, écoutent le récit de Rodrigue Bras-de-fer ont devant eux le vivant témoin de la rencontre avec le Diable. On remarquera que Rodrigue est en fait le vivant symbole d’une transmutation puisque, comme l’a souligné Lasnier, de « Bras-de-fer », il devient « l’Homme de Labrador » (Là-bras-d’or). Ici, l’évidence de la mise en scène, qui met en présence un homme autrefois surnommé « Bras-de-fer » avec un alchimiste qui dissimule sur lui un bras humain, crève les yeux.

Maintenant, ces deux légendes font-elles de L’Influence d’un livre un récit fantastique ? Évidemment non, puisqu’elles sont clairement identifiées comme des récits racontés dans le cadre de la fiction. Selon moi, l’appartenance du premier roman québécois au genre fantastique tient plutôt à cette seule petite phrase, située à la toute fin du texte : « cela ne l’empêchait pas soit qu’il se trouva la nuit dans un bois, ou sur le rivage, de s’entretenir souvent avec quelques gnomes solitaires (qu’il décorait du nom pompeux de gognomes), cachés dans quelques taillis ou gémissant sur quelques rochers que la marée montante allait ensevelir ». Cet élément surnaturel est le seul qui vienne corroborer le fait que le parcours alchimique de Charles Amand n’est pas une lubie, que sa magie est effective et sa transmutation réussie. Les autres aspects de la preuve sont apportés par la structure même du récit, qui, par exemple, fait apparaître la figure diabolique de Lepage immédiatement après une conjuration qui n’est ratée qu’en apparence.

Un autre exemple, qu’il ne faut pas passer sous silence, est le fait que l’alchimiste devient bel et bien riche à la fin du roman. Il est inutile de tenter de répéter ici les analyses de Louis Lasnier mais on peut rappeler le parcours de Charles Amand sur le fleuve (au bord duquel il ne faisait que se tenir jusque-là), et la mort de Capistrau, sacrifié à l’élément aquatique en échange de l’apparition de cette seconde figure diabolique qu’est le capitaine Clenricard.

Charles Amand, après mille épreuves et péripéties, trouve enfin l’or qui le rend digne de cette société qui l’a toujours rejeté (« C’était en effet Charles Amand lui-même, qui entra d’un pas ferme, l’air assuré, la tête haute, avec toute l’importance que donnent un bon habit et trois ou quatre cents piastres dans la poche de celui qui depuis longtemps est privé de ces avantages, sans lesquels un homme est rarement bien vu dans le monde »).

On ne reviendra que brièvement sur la structure particulière de notre premier roman qui montre bien que Charles Amand l’alchimiste, Eugène de Saint-Céran le médecin et Joseph Lepage l’assassin sont les trois facettes d’un seul personnage dont on suit l’évolution à travers le Mal (le Diable) qu’ils subliment. En terminant, si on reproche à L’Influence d’un livre l’irrégularité de son intrigue et de son style, c’est peut-être parce qu’on s’oblige à le percevoir comme un récit linéaire, une aimable bluette. On oublie le contexte de l’époque, tant au point de vue social que dans la relation que pouvait entretenir la société de 1837 avec ses traditions et son histoire. On oublie surtout quelle était la situation particulière de son auteur, fils de l’un des derniers seigneurs canadiens et observateur cultivé et privilégié de son époque, au sein de la jeune société canadienne. Pour ma part, je suis convaincu que nous devons nous réapproprier ce roman trop longtemps négligé. Plus d’un siècle et demi après sa parution, il est plus que temps de lui accorder l’attention qu’il mérite. [TV]

  • Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 13-20.

Références

  • Gaudet, Gérald, Le Devoir, 21/22-01-2023, p. B 7.
  • Lemire, Maurice, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec I, p. 386-390.