À propos de cette édition

Éditeur
Solaris
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Solaris 118
Pagination
20-22
Lieu
Gallix
Année de parution
1996
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Ayant essuyé une réprimande sévère de son patron, Jacques Girard, secrétaire de profession, démissionne avec fracas de son poste à « L’Informateur Unifié », jugeant tout à fait absurdes les accusations dont il a été accablé. L’entrevue se termine sur des menaces mutuelles et un défi que le protagoniste n’aurait jamais dû lancer à son supérieur, M. Savart.

Au fil du temps, Girard réalise que son ancien patron « a le bras long », ce qui l’empêche de retrouver un emploi dans le domaine journalistique. Même son contact dans les hautes instances sociales, Karl Vaquier, n’a pas pu lui venir en aide, lui-même victime d’un incompréhensible accès de folie qui l’a poussé au meurtre de plusieurs innocents et ensuite au suicide.

Le désarroi de Jacques Girard atteint son paroxysme quand, lors d’une entrevue, il perd lui aussi la maîtrise de sa propre personne et se met à rire de façon incontrôlable. De retour chez lui, après avoir été agressé par une bande de voyous le sommant de ne plus sortir de chez lui sous peine de graves représailles, le protagoniste découvrira enfin, grâce à une lettre de Savart, les horribles rouages du complot contre sa personne.

Autres parutions

Commentaires

L’auteur adopte d’abord un ton burlesque pour mettre l’accent sur la logique douteuse qui semble régir le monde imaginaire qu’il a créé. En effet, Frédérick Durand offre à son lecteur la vision d’une société gouvernée par le radicalisme sous toutes ses formes, qui semble considérer l’humain moyen comme un robot plus ou moins fonctionnel, mais qui, ironiquement, a encore des scrupules à s’attaquer aux droits des animaux. Après tout, la seule faute de Jacques Girard a été de sélectionner pour publication, dans un journal manifestement dédié à la propagande, l’annonce rédigée par un mouvement abhorrant les animaux domestiques. « Pourquoi le Mouvement Anti-animalier est-il plus répréhensible que les Censeurs Absolus ou les Enfants de l’Anxiété Perpétuelle ? » se demande-t-il, à bien juste titre. On peut ici déduire du propos une critique de l’individualisme, du matérialisme et de l’absurdité qui en découle.

« Censeurs Absolus », « Département ministériel de la Supervision des Particuliers », « Informateur Unifié », « Musée de l’Imaginaire Collectif », autant d’expressions qui font baigner le récit dans une ambiance de contrôle de la pensée et de l’information et qui rendent plus qu’évidente l’allusion à 1984 de George Orwell. Quelques touches d’ironie ici et là, comme l’appellation « Journal Libre », laissent penser que cette nouvelle se veut une satire portant sur le phénomène de convergence des médias dans notre société actuelle qui, ici, aurait dégénéré en totalitarisme. Les allusions à Big Brother et aux appellations absurdes des ministères dans l’univers « orwellien » sont d’autant plus pertinentes. De plus, Durand ramène à plusieurs reprises (un peu trop souvent, d’ailleurs) le symbole de la ruche : chacun doit rester à sa place pour assurer le bon fonctionnement de la collectivité, aucun écart ou éclat de rébellion ne sera toléré ; tout le monde doit gentiment « rentrer dans le rang ». Enfin, l’aspect aseptisé de l’immeuble où vit Girard achève d’évoquer l’austérité et la stérilité sociale et intellectuelle dans laquelle une obscure élite, œuvrant en secret grâce à des messages subliminaux, cantonne les habitants d’Alkenraüne.

En faisant allusion aux messages subliminaux dans sa nouvelle, Durand, passionné de musique et particulièrement par le rock psychédélique des années 70-80, s’inspire manifestement de la controverse des messages sataniques en backmasking dans la musique rock, dans les années 80. Cette thématique sert ici relativement bien la notion de « contrôle de la pensée » qui est le moteur du récit. Les « puissants » d’Alkenraüne sont donc ceux qui détiennent le monopole de l’information et Savart, l’ancien patron de Jacques Girard, fait partie du lot. En ce sens, il est plusieurs fois comparé à un « loup » qui guette sa proie, tapi dans l’ombre. « Des mots. Le visage crispé de Savart. Ses dents » : ce leitmotiv, habilement semé au début et à la toute fin du récit, suggère le caractère hypnotique et le côté prédateur du personnage, pourtant pas particulièrement inquiétant au premier abord, mais qui finit par métaphoriquement « dévorer » Girard. La morale qu’on pourrait conséquemment en retirer est : « Prudence : on ne sait jamais à qui on a affaire ».

Bref, il s’agit d’une nouvelle fantastique qui fait sourire plus qu’elle n’effraie, mais qui constitue un efficace divertissement intellectuel, agrémenté d’un style presque irréprochable. [JBC]

  • Source : L'ASFFQ 1996, Alire, p. 77-79.