De toutes les formes d’expression littéraires, c’est sans doute le conte qui a le mieux servi le fantastique. C’est par l’intermédiaire du conte, en effet, que le fantastique religieux, qu’on appellera le surnaturel, s’est d’abord manifesté dans la littérature québécoise. Si la nouvelle a pris le relais au cours des années 1960, il n’en existe pas moins une veine souterraine qui a refait surface au milieu des années 1990 sous l’impulsion de la maison d’édition Planète rebelle et des initiatives de conteurs tels que André Lemelin, Marc Laberge, Jean-Marc Massie et consorts.

Quoique plus jeune que ces « raconteurs d’histoires », Éric Gauthier appartient à cette famille de conteurs urbains qui n’hésitent pas à monter sur scène pour dire leurs contes et les tester auprès d’un public d’aficionados. Il est cependant l’un des rares à fréquenter aussi assidûment l’univers du fantastique, alors que l’hyperbole qui fait florès dans le conte pourrait laisser penser que l’un ne va pas sans l’autre. En fait, ce que l’on prend parfois pour du fantastique n’est que de l’absurde ou de l’étrange. C’est rarement le cas chez Éric Gauthier.

Voici donc un conteur moderne, ouvert sur le monde. Contrairement à une flopée d’auteurs qui puisent dans le répertoire québécois traditionnel pour régurgiter dans leurs mots – et souvent dans une langue appauvrie par rapport aux modèles originaux – des contes archi-connus sur la chasse-galerie, le diable au bal ou le loup-garou, Éric Gauthier crée de toutes pièces des personnages originaux grâce à son sens de l’observation. Il se laisse imprégner par les odeurs et les couleurs du monde qu’il rend dans toute leur authenticité au moyen d’une langue empreinte de poésie, un peu à la manière de Sol, sans les jeux de mots. Le quotidien s’en trouve magnifié, décalé par rapport à la réalité et à la normalité.

Éric Gauthier est venu à l’écriture par la parole, par le conte, mais il est aussi nouvelliste et, depuis la fin des années 2000, romancier. « Je suis fasciné par la manière dont les gens acquièrent ou s’inventent des croyances », déclare-t-il dans une entrevue publiée dans Solaris. En effet, ses contes et ses nouvelles sont souvent basés sur une croyance, un mythe ou un rite qui gouverne l’existence des individus et révèle les valeurs de la société, moderne ou primitive, qu’il esquisse sans s’appesantir.

Dans « Une introduction à la chasse au furbe », il lève le voile sur une pratique qui tient lieu de religion tout en assurant la cohésion sociale des citoyens. Dans « Bientôt sur votre écran », c’est le culte de la télévision et du récit « basé sur un fait vécu » que l’auteur remet en cause en dénonçant l’intrusion des médias dans la vie privée, leur immoralité et leur mercantilisme encouragés par la curiosité et la crédulité des téléspectateurs. Dans « Au jardin comme à la guerre », croyance et rites se liguent pour influencer la conduite de Jeroen, qui consent à joindre les rangs des résistants déterminés à chasser l’envahisseur de leur pays. Jeroen ne s’engage pas par patriotisme mais pour apaiser l’âme d’un soldat ennemi qui réclame vengeance.

Qu’il réinvente le destin du dieu indien Ganesh ou qu’il évoque la culture de la corruption qui gangrène la société italienne dans « Les Pigeons », conte dans lequel le naïf Jacopo devient le pigeon de l’affaire, Gauthier enrobe ses observations d’anthropologue d’un humour léger et sans prétention. La petite morale qu’il nous balance, en fin de parcours, atteint sa cible et fait réfléchir sur la nature humaine, dont il est un chroniqueur avisé et amusé.

Éric Gauthier bâtit patiemment une œuvre remplie de promesses. Avec la publication en 2008 de son premier roman, Une fêlure au flanc du monde, il a franchi une étape importante. Habitué aux textes courts, il s’est prouvé à lui-même qu’il pouvait tenir la distance avec brio. Ses œuvres ultérieures ont amplement confirmé cela.

 

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