Entre la fin du XIXe siècle et le début de la Révolution tranquille, il y a peu d’écrivains de science-fiction et de fantastique dont l’œuvre mérite qu’on s’y arrête. Cinq ans avant Les Demi-civilisés, qui fit scandale et valut à son auteur d’être mis au ban de la société par le tout-puissant clergé, Jean-Charles Harvey publie L’Homme qui va… Le contenu de ce recueil n’est pas aussi explosif que le brûlot de 1934, mais il contient des éléments fort intéressants.

Il s’agit d’un des premiers exemples d’une littérature québécoise qui cherche à s’inscrire dans la modernité. Tentative timide, certes, car Harvey demeure avant tout le produit de son époque et de sa formation humaniste nourrie aux sources des auteurs grecs et latins. Cela est particulièrement visible dans les textes fantastiques et réalistes de ce recueil, alors que les trois nouvelles de science-fiction tentent davantage de s’affranchir de ces influences – sans y parvenir totalement –, sans doute pour établir leur crédibilité.

Mais quel que soit le genre pratiqué par l’écrivain, il y a beaucoup de déplacements dans le recueil de Harvey, comme pour montrer que le Québec est une société qui adhère au progrès et qui regarde vers l’avenir plutôt que vers le passé. Le livre paraît en 1929, rappelons-le ! Ses personnages voyagent, partent à l’aventure, voient du pays. L’avion et, plus encore, le zeppelin semblent fasciner Harvey. On croyait à cette époque que le zeppelin serait le moyen de transport du futur. Mais on ne lit pas Harvey comme on lirait Jules Verne. On le lit pour sa critique sociale, pour son franc-parler et son anticonformisme.

Sans être remarquable sur le plan de la science-fiction, « Au pays du rat sacré » est le meilleur texte du recueil. L’invention scientifique est traitée de manière fantaisiste, mais Harvey se sert du récit de voyage et de la description de la société martienne pour faire la critique de la société dans laquelle il vit. C’est là que ça devient intéressant pour un lecteur du XXIe siècle. Harvey s’appuie sur la tradition des récits de voyages extraordinaires, comme « Mon voyage à la lune » de Napoléon Aubin, pour donner libre cours à son esprit satirique, à sa personnalité de libre penseur. Dénonçant les diktats et les dogmes (« Il n’y a dans le monde que des rats gris »), il s’identifie au personnage du savant Hosmar, qui ose défier ce qui est communément admis.

Les autres textes de SF n’ont pas la même fraîcheur. « La Dernière Nuit » se présente comme un épilogue de « Hélène au XXVe siècle », qui comporte beaucoup de verbiage inutile. Cependant, le récit véhicule un désir d’utopie qui permet de saisir les préoccupations de l’auteur et les fondements de sa pensée. Ce texte cristallise en outre l’image récurrente de la femme présentée comme une déesse et qui se retrouve inévitablement au centre de passions humaines à l’origine des conflits mondiaux.

C’est probablement dans « Le Revenant », l’une des trois nouvelles fantastiques, que s’exprime le plus clairement la volonté de modernisme de Harvey. Il imagine ici un dialogue entre Louis Hémon et son personnage de Maria Chapdelaine, ce qui lui permet de s’inscrire en faux contre le roman de Hémon. Rejetant l’image d’immobilisme projetée par le romancier et sa vision passéiste, il s’efforce de lui démontrer que le Québec évolue et emprunte la voie du progrès, n’en déplaise à l’auteur breton. L’idée même ici d’un dialogue entre un auteur et sa création illustre la modernité de l’écriture de Harvey. Enfin, une modernité toute relative, car l’écriture cherche souvent l’effet poétique, si bien que le propos a tendance à se perdre dans les fioritures du style. C’est l’aspect du recueil qui a le moins bien vieilli.