Jules-Paul Tardivel est considéré comme l’auteur du premier roman d’anticipation – un des sous-genres de la science-fiction – des lettres québécoises. Publié pour la première fois en 1895, Pour la patrie transporte en effet le lecteur dans le futur, cinquante ans plus tard. Le Québec devient en 1946 une république qui repose sur deux piliers fondateurs : la religion catholique et la langue française.

Journaliste de combat et ultramontain, Tardivel répugne à utiliser le roman, qu’il juge d’origine satanique, pour défendre ses idées. Mais il se rend bien compte de la popularité du genre. Aussi, « pour livrer le bon combat, il faut prendre toutes les armes, même celle qu’on arrache à l’ennemi[1] ». Pour la patrie sera un roman chrétien de combat visant à préserver l’héritage catholique et français de la France d’avant la révolution de 1789.

L’œuvre de Tardivel étant avant tout un roman à thèse, il ne faut pas y chercher, comme le dit lui-même l’auteur dans l’avant-propos, « une œuvre littéraire délicatement ciselée, ni une étude de mœurs patiemment fouillée[2] ». Les personnages et les situations sont manichéens au possible. De plus, l’extrapolation des avancées technologiques demeure très peu développée, ce qui n’est guère de nature à satisfaire un lecteur qui aurait découvert deux ou trois décennies plus tôt les romans de Jules Verne, foisonnant d’inventions et d’intuitions stimulantes. Et que dire du lecteur qui s’y plonge un siècle plus tard !

En fait, l’économie du récit repose surtout sur des manifestations du surnaturel. Ce sont des apparitions du diable, des statues qui s’animent, des faits irrationnels qui nourrissent la trame narrative. Les composantes fantastiques ou merveilleuses agissent ici davantage que les éléments propres à la science-fiction.

Le roman de Tardivel a fait l’objet d’une traduction anglaise en 1975 (For my Country) et de quelques rééditions. Celle de 1976 – dans Les Cahiers du Québec chez Hurtubise HMH – coïncide, à la fin de la même année, avec l’élection pour la première fois d’un parti indépendantiste au parlement de Québec, le Parti québécois. La synchronicité de l’événement littéraire et de l’avènement politique a contribué dans une certaine mesure à la redécouverte de Pour la patrie en tant que document idéologique et expression d’une utopie fondamentaliste. Au cours de la première moitié du XXe siècle, les quelques œuvres d’anticipation à voir le jour seront d’ailleurs fortement influencées par la pensée utopique en réaction aux bouleversements de la société québécoise qui passe progressivement d’une économie rurale à une économie urbaine.


[1] Tardivel, Jules-Paul, Pour la patrie, Montréal, Cadieux & Derome, 1895, p. 5.
[2] Ibid, p. 11.