Depuis 2001, Michèle Laframboise enchaîne les romans pour jeunes au rythme d’un par année. Mais attention ! Qui dit roman jeunesse ici dit roman pour adolescents aguerris, car Michèle Laframboise écrit de la « hard SF ». C’est dire qu’elle ne sous-estime pas ses lecteurs. La collection dans laquelle ses romans sont publiés a pratiquement été créée pour elle : des seize premiers titres de Jeunesse-plus des Éditions Médiaspaul, la moitié sont d’elle.

Ingénieure et géographe, Michèle Laframboise met à profit sa formation scientifique pour nourrir son imaginaire science-fictionnel. Très consciente des lois physiques qui régissent le quotidien des voyageurs dans un vaisseau spatial ou sur des planètes autres que la Terre, elle instille dans sa narration des observations qui surprennent, voire déstabilisent le lecteur. L’environnement dans lequel évoluent les personnages acquiert ainsi une importance capitale dans ses romans. Tout est pensé, calculé pour créer un récit hyperréaliste dans un cadre futuriste souvent très éloigné de notre temps.

Les deux séries qui regroupent l’essentiel de son œuvre romanesque – Les Voyages du Jules-Verne et La Quête de Chaaas – exploitent un univers qui conjugue « hard SF » et « space opera » dont elle a livré les prémices dans la nouvelle « Les Femmes viennent de Mars et les hommes de Vénus ». D’entrée de jeu, par ce titre évocateur et humoristique, l’auteure manifeste sa volonté de prendre le contre-pied des stéréotypes sexuels. On y reviendra plus loin. Cet univers dont elle dévoile des pans à chaque roman est celui de l’exploration de l’espace par l’Alliance, une fédération d’humains qui ont quitté la Terre, rebaptisée Gaya, pour coloniser et exploiter des planètes et qui rencontrent d’autres peuples (les Pfuis, les Zoens, les Vrittis, les Zzoms) avec qui ils tentent de développer des échanges commerciaux.

Le point de vue varie d’un roman à l’autre. Dans Piège pour le Jules-Verne, l’héroïne, Armelle Clécy, est une jeune Martienne planétologue, tandis que dans La Quête de Chaaas, le personnage principal, Chaaas kho Chlaan, est un Chhhatyl de la planète Ch’lokan. Ce peuple a la particularité de réunir des caractéristiques du monde animal et du monde végétal, ce qui conditionne le bagage culturel des individus. L’auteure mise à fond sur l’altérité en utilisant plusieurs néologismes pour rendre compte de l’organisation sociale et politique de cette planète, de sa faune et de sa flore. Mais plus encore, le langage utilisé constitue une métaphore sur l’horticulture qui renvoie au mythe de la création propre à ce peuple. Ainsi, le dieu des Chhhatyls est un Grand Jardinier et les myriades de corps célestes dans l’univers sont des graines qu’il a semées. Les Chhhatyls ont développé une sensibilité particulière pour la nature, les arbres et les fleurs – leurs paramètres biologiques s’en inspirent – mais leur comportement et leurs sentiments – ambition, sens de la compétition, rancœur, haine – ressemblent à ceux des humains qu’ils méprisent.

On pourrait croire que le modèle social est parfait, mais on se rend vite compte qu’il y a des classes sociales, que des crimes plus ou moins graves sont commis. Le principe majeur sur lequel reposent l’organisation et la cohésion de cette société favorise une idéologie de droite, un système de points récompensant le rendement et l’action civique des individus, des familles et des villes.

Plus novateur est le regard que pose Michèle Laframboise sur la condition des femmes. Même si elles exercent des professions moins traditionnelles, leur intégration et l’égalité de leurs droits dans leur milieu de travail ne sont pas assurées pour autant. Certaines doivent encore s’en remettre à leurs atouts physiques pour assurer leur subsistance. Maîtresses entretenues, prostituées : leur émancipation semble un éternel combat.

L’histoire la plus pathétique est celle de l’héroïne de la nouvelle « Le Vol de l’abeille ». Marilyn est une prostituée de luxe, une femme-enfant qui ne peut disposer de son corps et de sa liberté, pas plus que Marilyn Monroe, prisonnière de son image, de sa célébrité et des médicaments. Ici, l’abeille se libère, mais sa victoire laisse un goût amer car son sort n’est peut-être pas plus enviable. S’engager comme cadet dans l’armée pour faire la guerre est-il préférable à faire l’amour alors que le désir est programmé par des implants dans le corps ? Dans Piège pour le Jules-Verne, Armelle a été élevée par un couple de lesbiennes, Paman et Maman, situation qui, bien que mal vue des autorités, s’explique en partie par le manque de mâles sur Mars.

Les préoccupations féministes sont continuellement présentes dans l’œuvre de Michèle Laframboise, à l’avant-plan ou en toile de fond, comme pour rappeler la précarité des avancées dans ce domaine. Le constat n’est cependant pas déprimant outre mesure, car il y a chez elle un humour et des clins d’œil qui suscitent le sourire. L’auteure parsème ses romans et ses nouvelles d’expressions drôles, de comparaisons inattendues et se livre à une entreprise d’encryptage de la culture populaire qui déride. Des exemples : le sauveur de Marilyn est un militaire du nom d’Alfonso Dimaggio – le joueur de baseball Joe Di Maggio a été l’un des maris de Marilyn Monroe ; Armelle visite une boutique d’antiquités sur une base construite dans l’espace, artefacts qui s’avèrent être des chandails de la Sainte Flanelle et des Bruins de Boston ; Nécronomica Nosfératu, héroïne de la nouvelle « Ceux qui ne comptent pas », est originaire de la planète Transsyl-2, dont les habitants ont fondé leur culture sur l’image du vampire et le mythe de Dracula. Ils ont notamment l’habitude de coucher dans des cercueils !

Humour, notions scientifiques détaillées et complexes, culture populaire et constats féministes composent un cocktail étonnant que la narration peine parfois à lier totalement. L’expérience aidant, Michèle Laframboise parviendra sans doute à mieux intégrer ces éléments et à être moins obsédée par la prégnance des lois physiques, ce qui lui permettra peut-être de développer alors une écriture plus fluide.

 

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