À propos de cette édition

Éditeur
L'instant même
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
127
Lieu
Québec
Année de parution
1987
Support
Papier

Résumé/Sommaire

[2 FA ; 3 HG]
L’Araignée du silence
La Fuite
Réginald
Mékong
Fitzwilliam Square

Commentaires

Coïncidence ou prémonition, pour une rare fois j’ai transgressé mes habitudes et commencé la lecture de ce recueil par la fin. Peut-être était-ce une certaine crainte devant la longueur inhabituelle de la première nouvelle, celle qui donne son titre au recueil, peut-être était-ce pour explorer plus rapidement l’imaginaire d’un auteur dont je ne connaissais rien jusqu’à ce jour. Mal m’en prit. « Fitzwilliam Square » m’emporta dans une écriture certes belle, aux riches parfums d’un récit de voyage, mais tournant sur elle-même sans aboutissement, brumeuse non de temps mais de vouloir, comme si un masque devenait primordial devant un certain néant. « Mékong » me fit persister sur l’illusion du journal de voyage, une scène parmi tant d’autres, une scène comme il y en a tant dans la décrépitude occidentalisée d’une certaine Asie, une scène qui, encore là, figeait l’acte, clichait le moment, pour le glisser ensuite dans une poche arrière où on l’oublie. « Réginald », pour continuer l’itinéraire, différait cependant dans l’instantanéité. Ici, une grille temporelle tramait la lecture, apportait un début de cartographie à ces paysages pleins de bruits et de senteurs, de couleurs et de textures. Pourtant, et malgré une volonté plus marquée d’affirmer la démarcation avec le réel, une fin ouverte, l’absence d’un itinéraire suggéré, d’un trait rouge sur la carte reliant toutes ces stations inquiétaient, agaçaient. « La Fuite » compléta mon sentiment de déception, développement éclaté d’un autre itinéraire, psychique celui-là, quoique non sans rappel de l’exotisme, qui s’acheminait vers une conclusion trop abrupte, trop… façonnée ?

Après ce survol qui, faut-il le rappeler, n’englobe que le cinquième de ce recueil, la déception était grande, tout comme l’appréhension. Devant ces textes aux emballages fort à la mode n’enrobant qu’une certaine forme de moment et d’atmosphère peu convaincants, je ne pouvais que craindre à la lecture prochaine de cette nouvelle de presque cent pages qui complétait le recueil.

J’aurais dû me douter que la vérité était inverse. Tout comme les quatre nouvelles que je venais de lire apportaient une certaine complétude à ce recueil et, surtout, la légitimation de son appellation, « L’Araignée du silence » me plongeait au cœur du véritable écrivain qu’est Louis Jolicœur. Là où je n’avais ressenti qu’effleurements anodins, tentatives avortées, un véritable maelstrom de sensations m’engloutissait. Je ne commencerai pas le jeu odieux des comparaisons où tous sortent perdants, mais il faut comprendre que je place cette nouvelle – ou novella, ou même roman, quand on sait la longueur de ces derniers au Québec, quoique la forme… – à un très haut niveau.

L’écriture, semblable à celle décrite plus haut, s’accapare soudain une envergure qu’elle n’avait pu atteindre auparavant. Toujours aussi englobante, elle s’enorgueillit devant la riche matière qu’elle supporte, l’imaginaire palpable par ses évocations, et palpée avec volupté par le lecteur. Ici, l’émotion passe : ces bruits et ces odeurs, ces couleurs et ces textures, ne tiennent plus de la photographie, de l’instantané, mais débordent dans les dimensions supérieures, la troisième pour les décors, la quatrième pour les itinéraires, et toutes ces autres auxquelles le lecteur participe. Ici, l’économie ne rappelle plus l’économe, la forme l’emballage moderne. Passant par-dessus ces considérations et ces qualités du moment, Jolicœur nous propulse directement à ce niveau où la vraie littérature s’amuse, existe, nous fait exister, nous fait communiquer.

Qu’il s’agisse de fantastique – ces morts qui ne veulent pas mourir… – rehausse encore l’attrait du texte. L’imaginaire s’envole vers l’irréel et regarde, avec son optique hors plan, ce monde qui est nôtre, ce monde où nous nous agitons, pensant penser alors que nous actons, pensant évoluer alors que nous n’évoluons que d’un point à l’autre, videment, tout comme la Terre, qui tourne et tourne.

L’écriture rigoureuse de Louis Jolicœur, si apte à générer le parfum de l’atmosphère, l’essence d’une situation, ou des cœurs, éclate donc dans cette longue nouvelle et montre son ampleur. Et si la fin reste ouverte, si la génération de la situation générale n’est pas légitimée, si des itinéraires se perdent en chemin comme autant de pistes dans le désert, rien n’est moins important puisque l’essentiel est donné, s’ouvrant devant un lecteur enfin rassasié.

Devant tout ce qui vient d’être dit, dois-je vraiment ajouter qu’il s’agit d’un recueil exceptionnel ? La lecture de « L’Araignée du silence », vous l’aurez compris, m’a particulièrement enthousiasmé. [JPw]

  • Source : L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 96-98.

Références

  • Greif, Hans Jürgen, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 42-43. 
  • Lamontagne, Michel, Solaris 78, p. 37.