À propos de cette édition

Éditeur
L'instant même
Genre
Science-fiction
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
159
Lieu
Québec
Année de parution
1994
ISBN
9782921197441
Support
Papier
Illustration

Résumé/Sommaire

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Commentaires

La critique qui suit, inédite, a été rédigée au moment de la parution initiale de Récits de Médilhault. J’ai relu le livre et j’endosse sans réserve les propos que je tenais il y a vingt ans.

Anne Legault est bien connue dans le milieu théâtral québécois, plusieurs de ses pièces ayant été montées par des troupes importantes comme la Compagnie Jean-Duceppe et le Théâtre populaire du Québec (TPQ). Avec la publication de Récits de Médilhault, elle aborde pour la première fois la prose romanesque. En raison de son passé de dramaturge, on se serait attendu à une narration accordant une large place aux dialogues mais ceux-ci ne sont pas plus nombreux qu’il le faut. Anne Legault s’est pliée aux règles du récit et en a assimilé parfaitement les particularités. Ce qui surprend le plus chez elle, c’est sa capacité à s’adapter non seulement à un autre type d’écriture mais aussi à un genre littéraire qui a ses codes, la science-fiction.

Souvent les premières tentatives des auteurs dans ce genre sont marquées par une méconnaissance de la tradition de la SF, ce qui donne lieu à des œuvres dépourvues d’originalité. Anne Legault, au contraire, fait preuve de beaucoup d’inventivité et démontre qu’elle est capable de soutenir la création d’un monde différent du nôtre avec une économie de moyens remarquable. La raison en est bien simple : elle maîtrise parfaitement son écriture et sait tirer des mots le maximum de leur pouvoir d’évocation. Pour ce faire, elle a parfois recours à des néologismes (« chiard » pour désigner un enfant, « sassadine », sorte de messager au service du Protecteur, l’autorité suprême qui dirige la ville de Médilhault) mais le plus souvent, c’est l’agencement de mots familiers, l’originalité du regard qui produit cet effet d’altérité exceptionnel. La ville de Médilhault s’anime sous nos yeux et c’est toute l’atmosphère d’une époque qui nous est rendue de façon très sensorielle.

Comme son titre l’indique, Récits de Médilhault est composé de plusieurs courts récits qui constituent une chronique de la deuxième moitié du XXIe siècle avec quelques retours au XXe siècle alors que la ville s’appelait encore Montréal. Que s’est-il passé pour que la topographie et le système politique et social aient été modifiés au point d’évoquer une société du Moyen Âge ? Une guerre des classes qui a entraîné la disparition de la classe moyenne partout en Amérique du Nord et la concentration du pouvoir et du savoir entre les mains d’une petite caste de dirigeants. L’instrument de contrôle de la population repose sur les écrans cathodiques qui ont remplacé les livres comme dépositaires du savoir. L’accès aux écrans représente un privilège réservé à une minorité et ne garantit pas pour autant la connaissance du passé. Dans ce contexte, le livre est considéré comme un bien subversif et ceux qui cherchent à le soustraire aux autodafés sont pourchassés impitoyablement et condamnés à joindre les rangs des proscrits pour survivre.

Récits de Médilhault met en scène le combat de quelques esprits libres qui luttent avec acharnement pour préserver l’héritage du passé enfoui dans les livres et pour faire obstacle au contrôle total de la pensée humaine. On pense à Farenheit 451 et à 1984 mais l’œuvre d’Anne Legault est moins pessimiste que le roman d’Orwell. Dans le dernier récit, une horde de proscrits recueille des caisses de livres et une petite presse à imprimer et tente de gagner l’Ancien Monde par le détroit de Béring. La chronique d’Anne Legault se veut donc un éloge du livre et une dénonciation des dangers que représente l’apparition des écrans comme seule source du savoir. Coïncidant avec la mise en place imminente de l’autoroute de l’information, la fiction que propose l’auteure ne peut que susciter une réflexion fort pertinente et très actuelle. C’est un véritable plaidoyer en faveur de la liberté de pensée qu’elle énonce, le livre étant l’instrument par excellence de la démocratisation du savoir.

La force de l’œuvre d’Anne Legault réside dans son habileté à transmettre cet humanisme en l’incarnant dans des personnages crédibles, émouvants et admirables de courage. L’auteure fuit les représentations abstraites auxquelles pourrait donner lieu cette résistance à l’oubli et à l’aliénation en s’attachant au quotidien de quelques hommes et femmes résolus à demeurer libres. Dans le premier récit, d’une force d’évocation peu commune, elle présente Abigaëlle, surnommée Big, une petite fille initiée par son grand-père à la fréquentation interdite des livres. Elle rappelle la Tinamer de Jacques Ferron, l’héroïne de L’Amélanchier à laquelle Anne Legault fait une allusion discrète. En contrepoint de son enfance nous est livrée dans de courtes séquences d’une efficacité saisissante la torture physique et psychologique à laquelle la soumettent des tortionnaires pour cause de déviance. On la retrouve à la fin dans la horde de proscrits en route vers l’Ancien Monde, toujours aussi déterminée. Un très beau personnage, d’une sensibilité inoubliable.

Il y a d’ailleurs dans les rapports qu’entretiennent les personnages une richesse remarquable qui contribue à la réussite du livre. Je pense à cette relation entre Absalon adolescent – le grand-père de Big – et Lark, le fils monstrueux de son maître, le quindécimvir Marais. Rejeté par son père, Lark promène son malheur et appelle la Mort mais avant de mourir, il aura le bonheur de découvrir les films de Chaplin. Ces références cinématographiques ne sont pas gratuites car elles permettent de nuancer la charge contre les écrans. Le grand écran, invention du XXe siècle décrié par les dirigeants de Médilhault pour les erreurs qu’il a engendrées, faisait rêver les gens tandis que les écrans cathodiques font peur. Il y a aussi ce merveilleux dialogue entre Mort (la mort) et Lena, une sassanide surprise par la nuit qui doit coucher à la belle étoile, à l’intérieur de la Muraille qui entoure Médilhault.

L’écriture d’Anne Legault est un habile dosage de sensibilité, d’invention et de poésie. La marque de l’ange, vous connaissez ? C’est l’image emblématique de ce très beau livre : « Quand nous naissons, un ange vient poser son doigt sur nos lèvres, pour les fermer à jamais sur le secret du ventre qui nous délivre. Plus la marque est profonde, plus nous avons oublié les entrailles qui nous ont fait, et mieux nous pouvons livrer le fond de notre cœur. C’est le chemin qui mène de la pensée à la parole, un beau sillon rend l’expression facile et coulante. »

Anne Legault a ce don, la marque de l’ange. De tous les auteurs du mainstream qui ont abordé la science-fiction au cours des années quatre-vingt-dix, elle est sans contredit la plus belle surprise. Lisez-la, vous serez séduit vous aussi. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1994, Alire, p. 106-109.

Références

  • Bédard, Cassie, Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec IX, p. 709-710. 
  • Dupuis, Simon, Solaris 113, p. 43.
  • Quinn, Judith, Nuit blanche 107, p. 14.
  • Raud, Pascale, Solaris 163, p. 141-142.