Alexandre Huot a trente ans quand paraît L’Impératrice de l’Ungava. Il compte déjà à son crédit quelques romans populaires et, comme plusieurs de ses contemporains et prédécesseurs, il pratique le métier de journaliste. On le sent animé d’un idéal nationaliste qui l’incite à considérer la Côte-Nord comme un Eldorado québécois, alors qu’à cette époque, c’est la colonisation de l’Abitibi qui occupe le discours politique.

Dans le roman qui nous intéresse, Huot se fait, par la voix du père Boulianne, le chantre de la Côte-Nord à laquelle il adresse une véritable déclaration d’amour en citant abondamment des ouvrages sur la géographie de ce territoire. Cela n’en fait pas pour autant jusque-là un roman de science-fiction mais, dès la première page, le romancier surprend par son audace en jetant les bases du genre. Son personnage principal, Jacques Normand, un jeune ingénieur ambitieux et rationnel, affirme que des êtres intelligents vivent sur d’autres planètes. Tout de suite après, la femme dont il vient de faire la connaissance, Edith Darlington, dit croire en l’existence de « soleils de couleurs différentes ».

Sur cette lancée, la quête de Normand nous est présentée comme allant de soi : il désire explorer l’Ungava et exploiter les richesses de son sous-sol (l’or, en particulier) qui permettront au Québec de s’affranchir des capitaux américains. L’utopie canadienne-française annoncée est riche en symboles et en projections de toutes sortes et vaudrait normalement au roman de Huot une place de choix dans l’imaginaire collectif québécois. Mais voilà ! La belle utopie nationaliste est contrée dans son élan par une donnée dont elle n’avait pas tenu compte : la présence des Autochtones sur ce territoire et leur droit de propriété.

L’Impératrice de l’Ungava s’avère, en définitive, une utopie amérindienne, alors qu’on attendait une utopie canadienne-française ! Fin du rêve d’indépendance économique du Québec, même si l’on découvre que la cité d’Orsauvage, fondée par les Montagnais, Nascapis et Esquimaux, a bénéficié de l’aide de quelques Blancs.

La description de la ville moderne établie au creux d’une cuvette entourée de montagnes, éclairée et chauffée grâce à l’électricité provenant de chutes d’eau, ne convainc pas le lecteur d’aujourd’hui, en raison de son caractère irréaliste, et l’on peut certainement mettre en doute la faisabilité d’une telle réalisation qui aurait lieu sans éveiller les soupçons – on y construit même des automobiles ! Ce sont là toutefois des aspects secondaires du récit en regard de l’originalité et de la portée de cette entreprise romanesque qui change radicalement le rapport de la société québécoise aux Autochtones. L’impératrice de l’Ungava, une jeune femme montagnaise éduquée chez les religieuses, à Québec, n’est pas sans connaître la mauvaise réputation et la misère des siens. Grâce à l’or découvert par un compatriote, elle se donne pour mission d’émanciper économiquement son peuple et de lui redonner sa dignité en construisant dans le Grand Nord une cité qui suscitera l’admiration du monde entier.

Imaginé par un écrivain canadien-français capable d’épouser le point de vue amérindien et de transférer symboliquement son utopie à un autre peuple, c’est là un retournement de situation qui permet à L’Impératrice de l’Ungava de conserver toute son actualité même si les préoccupations écologiques en sont absentes, le progrès étant ici sans conséquence sur l’environnement.

Alexandre Huot et Emmanuel Desrosiers sont les deux seuls romanciers de la première moitié du XXe siècle qui ont laissé une œuvre emblématique en science-fiction. Le premier a rêvé d’une nordicité assumée, fondement d’une dignité retrouvée et d’une prospérité enviable, tandis que le second, dans La Fin de la Terre, a anticipé un avenir possible loin de la planète bleue.