Jacques Lazure est un auteur injustement méconnu dans le milieu de la science-fiction et du fantastique québécois, peut-être parce qu’il s’en tient éloigné. Pourtant, son œuvre a été récompensée par plusieurs prix littéraires importants. Éclectique mais soutenue, sa production mérite d’être soulignée.

Jacques Lazure a publié en 1987 son premier livre, un recueil de nouvelles intitulé La Valise rouge. Ce sera sa seule incursion en littérature pour adultes. Ce recueil contient treize nouvelles, dont deux préfigurent la voie que prendra sa production désormais dédiée aux jeunes. « Le Couteau sur la gorge », nouvelle fantastique, amorce une réflexion sur l’art – ici représenté par la peinture –, sur ses rapports à la vie et à la réalité. « Les Statues », nouvelle de science-fiction, raconte la mission d’un explorateur du nom de Mentor sur une planète désertique où aurait été créée la race humaine. Dans le registre de la science-fiction, le thème de la création prend la forme d’une quête des origines plutôt que d’une exploration des enjeux artistiques. Les deux textes, les seuls du recueil qui ne relèvent pas du réalisme, constituent une épure des romans subséquents.

Des deux pôles autour desquels l’œuvre de Jacques Lazure se développe, c’est celui de la science-fiction qui apparaît le plus intéressant et le plus marquant. La quête des origines se double d’un parcours spirituel, puisque la réponse aux interrogations identitaires des personnages (JHU dans Le Domaine des Sans Yeux, Oznael dans Le Rêve couleur d’orange) se trouve dans les récits mythiques qui servent de fondements à la religion à laquelle ils croient. Toutefois, le discours religieux érigé en dogme peut être un instrument d’asservissement ou une source de conflits entre les peuples. Dans Le Rêve couleur d’orange, la guerre qui oppose deux groupes, les Fkions et les Rebelles, et à laquelle un troisième groupe, les Éclatants, est mêlé bien malgré lui, a pour origine une interprétation différente de ce qui s’est passé sur Terre après le Grand Chaos.

La science-fiction de Lazure revêt une dimension archétypale très prononcée dans ces deux romans : un Messie attendu dans Le Domaine des Sans Yeux dont JHU serait le Précurseur de celui qui libérera son peuple, les Yzlus (Élus) ; un couple originel formé d’Oznael (un Fkion) et de Kéore (une Éclatante) qui décide de faire table rase du passé et des croyances pour bâtir un monde nouveau. De plus, en abordant le thème de l’enfant-soldat, l’auteur s’assure en même temps qu’il ancre son récit dans une réalité très contemporaine et suscite une vive émotion chez le lecteur. Au cœur de ces deux romans, c’est l’instrumentalisation de l’enfance au profit d’une idéologie militaire (Oznael) ou religieuse (JHU) qui est dénoncée par l’auteur.

Dans l’autre volet de son œuvre, Jacques Lazure délaisse les sujets lourds pour se consacrer à des romans au ton plus léger et ludique qui rendent hommage à la littérature fantastique classique. Dans Llddz, il plonge le personnage d’Alain Doric dans les univers livresques de Poe, de Hoffmann, de Swift, des frères Grimm, de Rabelais et de Jules Verne. L’adolescent, tel un Ulysse prisonnier de la bibliothèque de Borges, tente de sortir du labyrinthe des univers créés par ces maîtres de l’imaginaire. Les créations de l’esprit sont-elles des représentations d’autres mondes qui existent dans des univers parallèles auxquels il serait possible d’accéder grâce à l’alchimie ? L’art hermétique, capable de transmuer le plomb en or, conduit aussi au secret de l’élixir de jeunesse.

Avec La Mandragore, l’auteur poursuit dans la même veine en s’inspirant cette fois de l’œuvre des romantiques allemands, notamment Achim von Arnim et Frédéric de la Motte-Fouqué. Dans Pellicules-cités, par contre, les références renvoient à des œuvres cinématographiques telles que BatmanLa Guerre des étoilesLe Procès et Le Magicien d’Oz, mais Lazure continue de questionner le rapport de l’art à la réalité. Dans ce monde futuriste dont la capitale est Gotham City, on a voulu reconstruire fidèlement des villes à l’image de celles qui sont représentées dans des fictions cinématographiques, en croyant à tort qu’il s’agit de documentaires.

Ce que dit finalement l’œuvre de Jacques Lazure, c’est que la production artistique, comme le discours religieux qui s’alimente aux mythes fondateurs altérés par le temps et l’imaginaire, peut conduire à des dérives regrettables, collectivement et individuellement. Dans le premier cas, la démonstration passe par la science-fiction, dans le second, la destinée tragique du protagoniste emprunte la voie fantastique.