C’est l’histoire d’un talent exceptionnel, d’une comète qui a traversé la science-fiction québécoise dans la première moitié des années 1980. Agnès Guitard avait l’étoffe pour devenir l’une des écrivaines de science-fiction les plus importantes du Québec, voire la meilleure. Pour une raison qu’elle seule pourrait expliciter, elle a renoncé à poursuivre dans cette voie. C’est comme si Mario Lemieux avait décidé, après ses succès prodigieux au hockey junior, de tenter sa chance au baseball professionnel !

Agnès Guitard laisse en héritage un roman, Les Corps communicants, et surtout quatre nouvelles qui se classent parmi les vingt-cinq meilleures en science-fiction québécoise. L’environnement, le territoire avec lequel ses protagonistes entretiennent un rapport non seulement privilégié mais vital, constitue le thème majeur de ces quatre nouvelles. L’Autre, ou l’intrus, apparaît donc menaçant dans ce contexte. Et pourtant, là où le repli sur soi ou l’agressivité, voire l’intolérance, seraient des réactions tout à fait normales, il s’ensuit finalement un échange qui enrichit le protagoniste au contact des différences de l’Autre.

La science-fiction étant une littérature de l’altérité, cette notion prend tout son sens dans l’œuvre d’Agnès Guitard. Celle-ci dépeint ses personnages comme des organismes vivants placés dans un environnement qui ne leur est pas (ou plus) familier. Une expérience de laboratoire qui n’a pourtant rien de théorique, puisque le lecteur développe une réelle empathie avec le « cobaye ». Ce sont, en somme, des corps communiquant avec leur environnement dans un échange incessant qui les transforme mentalement et physiquement.

Que ce soit Coineraine, un représentant de la race des Irgaux qui habitent sur la planète Miji, dans « Coineraine », que ce soit Voyag, un aventurier-touriste qui visite diverses planètes dans « Les Virus ambiance », ou Deften, un humain kidnappé et déporté sur la planète Cserquî dans « Contre-courant » ou encore Nickel, dans « Compost », tous ces protagonistes sont soumis à des expériences extrêmement rigoureuses qui les forcent à s’adapter s’ils veulent survivre. Cette transformation, dans le cas de Nickel, va même jusqu’à une forme de mutation à la suite d’une « automodification » de son métabolisme.

La force de l’œuvre d’Agnès Guitard repose aussi sur son approche dénuée de toute forme d’anthropocentrisme, ses personnages représentant diverses espèces extraterrestres. À cet égard, Coineraine est sans doute le plus emblématique de cette altérité. Sur la planète Miji, chaque Irgau possède un kilomètre carré de territoire auquel il est biologiquement lié. Coineraine est donc condamné à y vivre toute son existence. Qu’arrive-t-il quand son espace vital est envahi par un visiteur d’une autre planète ?

Dans « Contre-courant », c’est l’atmosphère de Cserquî, sillonnée de courants d’air capricieux, qui constitue un défi d’adaptation pour Deften, tandis que « Compost », qui relève avec brio le pari du récit scatologique, illustre l’entreprise de fertilisation d’une planète désertique, Padééra, qui exterminera sciemment tous les habitants, sauf Nickel.

Les situations de départ de ces nouvelles sont d’une originalité renversante et débouchent sur des enjeux éminemment vitaux qui poussent les protagonistes dans leurs derniers retranchements. La faculté d’adaptation à laquelle ce choc des cultures les contraint est la valeur cardinale de ces nouvelles, valeur qui ne cesse d’inspirer leur auteure. Or qui dit adaptation dit changement. C’est peut-être là qu’il faut chercher le motif de la décision d’Agnès Guitard d’abandonner la science-fiction après des débuts aussi remarquables. Un choix vraiment regrettable et inexplicable.