Claude Mathieu est l’homme d’un seul livre, mais quel livre ! Certes, sa bibliographie comprend aussi un roman, Simone en déroute (1963), et un recueil de poésie, Vingt petits écrits ou Le Mirliton rococo (1960). Mais son œuvre majeure, c’est La Mort exquise. Il aura fallu près de vingt-cinq ans avant que ce recueil de nouvelles, presque tombé dans l’oubli, soit réédité une première fois par L’instant même. Du coup, une grave injustice était réparée.

Homme discret et effacé, Claude Mathieu était un érudit marqué par son éducation classique. La matière de ses nouvelles est nourrie par cette culture qui constituait le menu pédagogique des collèges classiques jusqu’au milieu des années 1960. Dans « Le Pèlerin de Bithynie », par exemple, le récit tisse ses ramifications jusqu’à l’époque de l’empire romain. De même, « Fidélité d’un visage » remonte le fil du temps jusqu’à la destruction de Pompéi en l’an 79.

La nature des sujets explorés par Claude Mathieu pourrait laisser croire que l’auteur vit complètement coupé de son environnement social. Après tout, le Québec est plongé au cœur de la Révolution tranquille quand La Mort exquise paraît en 1965. Les critiques d’alors n’y ont vu que fuite dans le passé, refuge dans l’objet littéraire, fermeture au temps présent. N’est-il pas ironique de constater qu’une des nouvelles du recueil a pour titre « L’Auteur du “Temps d’aimer” » ? Non pas que Claude Mathieu ait été un subtil analyste du sentiment amoureux, mais il est clair que ce qui l’intéressait, c’étaient les artefacts et les traces artistiques de la civilisation occidentale.

En quoi, alors, son recueil est-il moderne ? Claude Mathieu a su intégrer ces éléments de culture classique à un courant littéraire proprement sud-américain : le réalisme magique. Il est le premier écrivain québécois influencé par ce « surgeon » du fantastique pratiqué par Jorge Luis Borges, Julio Cortázar, Adolfo Bioy Casares et Alejo Carpentier. On pense inévitablement à Borges à la lecture de « Présentation de la Bibliothèque », cette nouvelle qui décrit la situation d’un pays ayant fait du livre la seule base de son économie et dont le territoire est bientôt occupé par une immense bibliothèque. Hallucinant ! Tout comme le travail d’un exégète de l’œuvre de Balzac dans la nouvelle « Autobiographie » – qui n’est pas fantastique à proprement parler – qui a collationné sur fiches tous les mots de la Comédie humaine (une bagatelle de 4 729 998 mots !).

On aurait tort de croire que Claude Mathieu déifie le livre et la littérature. Tout à la fois éloge de la culture livresque et mise en garde contre les entreprises intellectuelles obsessives ou désincarnées, son recueil conserve toute son actualité au moment où le livre est assailli de toutes parts par les nouveaux médias et que son existence est menacée par le Web. Sans oublier le fait que La Mort exquise a été le précurseur du réalisme magique dans la littérature québécoise, annonçant l’œuvre de Gaétan Brulotte et d’André Berthiaume, notamment.