Jacques Brossard est le seul écrivain de sa génération à avoir consacré la totalité de son œuvre littéraire à la science-fiction et au fantastique, mais surtout à la science-fiction. Et comme il n’y en a aucun autre dans les générations précédentes, il allait de soi que le prix connu de 1984 à 2007 sous le nom de Grand Prix de la science-fiction et du fantastique québécois porte désormais son nom.

Avant la génération des Esther Rochon, Élisabeth Vonarburg et Jean-Pierre April, Jacques Brossard a choisi de mettre sa plume au service d’un genre, la science-fiction, qu’il tient pour l’« une des deux formes contemporaines de la littérature ». Comprendre par là qu’elle représente, pour lui, une façon d’appréhender la totalité de l’expérience humaine sur terre en développant une réflexion métaphysique sur l’organisation sociale et politique. La science-fiction est un genre qui autorise tous les possibles, toutes les audaces, tous les recommencements. Ce credo que fait sien l’écrivain, on peut en apprécier la validité et la portée à la lecture de sa remarquable pentalogie, L’Oiseau de feu, véritable réécriture de l’aventure du genre humain. Il réitère d’ailleurs vigoureusement cet engagement dans l’après-propos du cinquième et dernier tome.

Nourri par ses lectures philosophiques et par la grande tradition romantique allemande, Jacques Brossard a imaginé une société maintenue dans son indigence par un groupe de privilégiés retranchés dans la Centrale, un immense centre de contrôle situé sous la Tour qui domine la Cité de Manokhsor. C’est à la fois un bildungsroman, un long apprentissage pour le jeune Adakhan, et une formidable œuvre de science-fiction qui pose des questions fondamentales sur le pouvoir, le libre arbitre, l’engagement, la religion et le devenir de l’humanité. Discussions philosophiques, fabrication de mots aptes à rendre compte de nouvelles réalités, sollicitation de tous les sens, mystères et inventions scientifiques, aucune stratégie narrative ou discursive n’est négligée par l’auteur pour créer une œuvre totalisante.

Élaborée et écrite en partie dans les années 1970, cette immense fresque de plus de 2500 pages a gagné les rayons des librairies en 1989. Le premier des cinq tomes, en fait, car leur publication s’est poursuivie jusqu’en 1997. Ce délai a grandement desservi l’œuvre, à tel point que les derniers tomes ont été complètement ignorés par la critique institutionnelle. Cela est d’autant plus honteux qu’il ne s’agit pas là de l’œuvre d’un adepte du nouvel âge ou d’un disciple de Raël mais d’un éminent intellectuel, juriste spécialisé en droit constitutionnel qui a conseillé quelques premiers ministres du Québec. Qui plus est, il s’agit de la première œuvre de science-fiction québécoise de cette envergure, avant même les sagas en plusieurs tomes d’Élisabeth Vonarburg (Tyranaël, 1996-1997 et Reine de mémoire, 2005-2007) et d’Esther Rochon (Chroniques infernales, 1995-2000).

Pour diverses raisons, notamment son écriture, davantage marquée par la tradition classique européenne que par la science-fiction anglo-saxonne, et la maladie, qui a réduit considérablement ses activités et les liens qu’il aurait pu entretenir avec le milieu québécois de la SF, Jacques Brossard n’a pas joué le rôle de mentor qu’aurait dû lui valoir cette œuvre monumentale, dont les prémices étaient déjà présentes dans le recueil de nouvelles Le Métamorfaux, salué par la critique littéraire, et particulièrement dans « La Tour, la fenêtre et la ville ».

En fait, la publication de L’Oiseau de feu est survenue dix ans trop tard si on l’analyse sous le rapport de l’influence qu’elle aurait pu exercer sur la production québécoise qui comptait déjà, en 1989, quelques écrivains fondateurs du genre et en voie d’élaborer une œuvre majeure. La réédition de cette œuvre monumentale, à un prix abordable, par les Éditions Alire en 2016 vise donc à rejoindre une nouvelle génération de lecteurs et lectrices.

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