Il existe au sujet de l’œuvre fantastique d’André Carpentier un malentendu auquel son premier recueil, Rue Saint-Denis, n’est pas étranger. Le titre aidant, on y a vu l’expression d’un fantastique urbain rompant avec les figures traditionnelles du genre. Il est vrai que le recueil décrit la bohème montréalaise et l’univers de la marginalité par l’entremise de personnages qui composent une faune colorée au sein de laquelle on reconnaît notamment Patrick Straram. Mais ce n’est là qu’un décor, au demeurant sympathique et attachant.

L’image récurrente du fantastique de Carpentier, fil d’Ariane de son œuvre, c’est la recherche du sens de l’existence, quête métaphysique et spirituelle qui anime un grand nombre de ses personnages. Chez l’auteur, en effet, le fantastique surgit au moment où le protagoniste cherche à comprendre le sens de son passage sur terre, au moment où la naissance et la mort se confondent dans une ultime seconde. C’est dire que le temps se situe au cœur même de la méditation qui nourrit son œuvre. Tourné d’abord vers l’individu dans ses propositions fantastiques, ce questionnement sur le temps adopte une perspective plus large dans les nouvelles de science-fiction, car il concerne l’avenir de l’humanité.

La voix d’André Carpentier emprunte de plus en plus, au fil de l’évolution de son œuvre, le ton du mémorialiste, voire d’un évangéliste, pour raconter un fait extraordinaire (« Le “Aum” de la ville ») ou rappeler le legs inestimable d’un maître (« La Leçon »), ce qui confère une solennité, une gravité et – parfois – une certaine affectation à son écriture. C’est que ce ton est tributaire d’un certain mysticisme qui anime les protagonistes aux derniers instants de leur existence. Dans « Le Déserteur » et « Le Vol de Ti-Oiseau », par exemple, Gabriel Beausoleil et Charles Perreault, surnommé Ti-Oiseau, envisagent la mort avec sérénité, comme une rédemption, en raison de leur foi.

Absentes de Rue Saint-Denis à cause de l’athéisme des personnages, ces préoccupations spirituelles se manifestent pour la première fois dans Du pain des oiseaux. En puisant dans l’Histoire du Québec le sujet de plusieurs nouvelles, Carpentier retourne aux sources du surnaturel, courant majeur du fantastique du XIXe siècle et de la première moitié du XXe. Il se distingue de ses modèles en modernisant le traitement de la révélation surnaturelle, lequel s’appuie sur un discours valorisant le sacré plutôt que la religion.

Désormais, l’œuvre de Carpentier se met au service d’une parole portée par un souffle mystique et incantatoire qui charrie de nombreuses allusions bibliques. Dans « Le Champ du potier », une épigraphe évoque les deniers de Judas qui ont servi à l’achat d’un terrain, tandis que le titre même de la nouvelle « La Septième plaie du siècle » contient une allusion aux dix plaies d’Égypte. Ces références contribuent à établir un réseau de fragments ou d’artefacts littéraires qui donnent à lire une (brève) histoire de l’humanité.

Carpentier va même plus loin dans « Les Lignées du Grand Chien » en mettant en scène un discoureur qui remet en question le dogme servant de fondement religieux à une civilisation répandue dans une galaxie. Épique autant que solennel, ce récit – pour ne pas dire cette épître – laisse une impression durable sur le lecteur.

Si l’art fantastique, chez André Carpentier, se nourrit dans un premier temps au conte, dont il emprunte la forme et parfois les sujets historiques (« Le Coffret de la Corriveau », « La Nuit du conquérant »), il tend par la suite à se fondre dans une parole sacrée. La focalisation du regard, qui passe du terme de la vie individuelle à l’eschatologie universelle, influe grandement sur l’esthétique de la fin qui hante son œuvre.

André Carpentier pratique depuis les années 1990 un autre type d’écriture qui oscille entre le journal intime, la chronique urbaine et l’essai littéraire. Cependant, comme en témoignent des titres comme Gésu retard et Mendiant de l’infini, il est toujours habité par une quête de spiritualité qui constitue le leitmotiv de son œuvre depuis le début.

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