Parmi tous les nouvellistes qui ont publié un nombre significatif de nouvelles de science-fiction, Jean Dion est l’un des rares qui ne les ait pas regroupées dans un recueil. Or un écrivain n’existe pas s’il n’a pas publié un livre, c’est aussi bête que cela. C’est pourquoi Jean Dion est le secret le mieux gardé de la science-fiction québécoise. Son œuvre est connue des seuls spécialistes et amateurs qui lisent les revues et fanzines spécialisés ou achètent les anthologies et ouvrages collectifs dans lesquels figurent ses treize nouvelles, en incluant celle qu’il a signée Bertrand Dion.

Écrivain casanier, Jean Dion n’aime pas paraître en public pour promouvoir son œuvre et fuit les congrès d’amateurs de science-fiction. De plus, il n’a jamais fait partie d’une revue ou d’un quelconque organisme voué à la défense du genre qu’il pratique. Ceci explique cela. Tout le contraire de Daniel Sernine, par exemple, avec qui il entretient une parenté certaine par ses thèmes et son écriture.

Au cours des années 1980, Dion a fréquemment distillé les fruits d’un imaginaire qui semblait inépuisable. Chacune de ses propositions était reçue avec enthousiasme par le milieu, qui en redemandait. Il n’est pas facile de cerner le noyau dur de son œuvre, car celle-ci est très éclatée. Contrairement à la majorité des auteurs qui écrivent des nouvelles, Dion invente chaque fois un univers autosuffisant, les personnages et les sociétés qu’il dépeint étant différents d’une fois à l’autre. Sa science-fiction est classique mais inventive ; son écriture, très efficace et maîtrisée, se met davantage au service de la réflexion qu’à celui de l’action. Ce qui fait sa force et constitue, d’une certaine manière, son unité, c’est ce questionnement sur l’éthique des individus, des conglomérats et des sociétés qui forment, au bout du compte, un univers cohérent et riche.

Le personnage principal de Dion n’a pas l’étoffe d’un héros – pas de space opera dans cette œuvre ! – mais il évolue vers une prise de conscience du milieu dans lequel il vit, prise de conscience par laquelle l’auteur introduit finement une critique sociale dans ses textes. La création d’animaux domestiques artificiels (« L’Évangile des animaux »), la commercialisation de la mort (« Rêves de chiffres »), le rapport de l’artiste à son art (« Les Voix dans la machine »), l’élimination d’une forme de vie perçue comme menaçante (« L’Intrus »), voilà autant de sujets qui débouchent sur une réflexion philosophique, voire métaphysique, dont l’ultime interrogation concerne l’existence même de Dieu.

De cet ensemble embrassant des préoccupations universelles à travers le cheminement moral d’un protagoniste ordinaire, a priori individualiste et apolitique, ressort une nouvelle inspirée par la situation politique du Québec. « Base de négociation » a été écrite pour la revue Solaris qui consacrait son numéro 101 à… un spécial Langue. Dans cette nouvelle, le gouvernement de l’Union (le Canada) a réduit le Québec à une enclave tout en cédant aux Amérindiens une partie du territoire québécois qu’ils revendiquaient. On conçoit aisément que ces deux enjeux politiques, l’indépendance du Québec et les prétentions territoriales des Autochtones, inspirés de l’échec de l’Accord du lac Meech et de la crise d’Oka, nourrissent une réflexion à caractère fortement nationaliste que la science-fiction québécoise aborde rarement de façon aussi frontale.

Par ailleurs, tout en livrant une production d’une haute qualité, Jean Dion a formé avec Guy Sirois, au cours de cette même période, un tandem connu sous le nom de Michel Martin. Les sept nouvelles qui ont résulté de cette association comptent parmi les meilleures du corpus de science-fiction. De la réunion de ces deux plumes – Guy Sirois a aussi écrit des textes en solo – est née une écriture lyrique et méditative, aux accents poignants. « Geisha Blues » et « Un temps pour mourir » représentent à cet égard des textes inoubliables.