À l’époque pas si lointaine où l’institution littéraire québécoise regardait de haut la littérature de genres, particulièrement la science-fiction – qui n’a pas encore tout à fait gagné le respect des universitaires –, Jean-François Somcynsky multipliait déjà les allées et venues entre le milieu littéraire et le fandom, en publiant aussi bien dans les revues et fanzines spécialisés, ici et en Europe, que chez des éditeurs de « la grande littérature ». Il a toujours affiché à cet égard une ouverture d’esprit qui l’honore et contribué ainsi à jeter les premiers ponts entre ces deux milieux.

À partir de 1975, cet écrivain qui pratique toutes les formes d’écriture passe allégrement du fantastique au réalisme, en s’attardant plus particulièrement à la science-fiction. Aussi, quand on met ensemble la production de Jean-François Somcynsky – son véritable nom – et celle parue sous la signature de Jean-François Somain, on se trouve devant une œuvre dont l’ampleur étonne au premier abord.

De ce corpus ressort un thème majeur, l’amour, que l’auteur décline dans ses différentes composantes : sexualité, érotisme, libido. Tout part de ce thème auquel il combine de multiples sous-thèmes : le pouvoir, la liberté, la survie de l’humanité, la tolérance. L’amour est le soleil, l’astre autour duquel gravite une pléiade de satellites qui en disent long sur sa conception hédoniste et libertaire de la vie. Une bonne partie de son œuvre est une ode à la femme, voire une entreprise de déification tant celle-ci représente aux yeux de Somcynsky le moteur du rêve. Cette quête de l’idéal féminin atteint son point culminant dans Le Diable du Mahani, véritable érotopie (utopie érotique) qui, en la personne de monsieur Okada, réalise un équilibre parfait entre les pulsions primitives et les capacités intellectuelles de l’homme.

Peintre du sentiment amoureux, Somcynsky en explore toutes les formes et avenues possibles. Dans le genre fantastique, cette exploration l’amène à revisiter des figures canoniques telles que le vampire (Dracula dans « Il n’y a pas de dernier amour ») et le loup-garou dans « Bonne Chasse » et, surtout, La Nuit du chien-loup. Dans ce roman, l’auteur utilise au maximum la licence morale que permet le sujet en abordant diverses expressions ou déviations de la sexualité humaine : homosexualité, transsexualité, bestialité, relations sexuelles à trois.

C’est toutefois en science-fiction que l’écrivain se permet les propositions les plus audacieuses ou fantaisistes. Dans Les Visiteurs du pôle Nord, il analyse trois types de relations amoureuses par l’entremise d’autant de couples Terriens-Chumoïens, chacun représentant une facette différente du rapport à la sexualité. François Leblanc et Jinik vivent une relation stable qui se veut en même temps une sorte d’expérience clinique de la sexualité entre deux races différentes. Maya Golinsky et Garou sont engagés dans une relation sentimentale à l’image de celles que vivent les Terriens, c’est-à-dire compliquée par des considérations autres que le plaisir sexuel et l’érotisme. Enfin, la relation très physique et charnelle qui unit Francine Lacombe et Vlakoda illustre la conception de la sexualité des habitants de la planète Chumoï, les rapports sexuels étant basés sur un échange de plaisir librement consenti, dans l’esprit de la révolution sexuelle des années 1960.

Somcynsky repousse les limites de l’imagination ou de l’émancipation sexuelle de la femme dans La Planète amoureuse. Il relate les orgasmes à répétition, l’expérience érotique totale que connaît Alba, une exploratrice échouée sur la planète Ménitar qui se révèle être un gigantesque organisme vivant. Le comble des manifestations du sentiment amoureux est atteint dans la nouvelle « Omega 8 est amoureux ». L’écrivain décrit ici les symptômes et les ratés qui affectent un ordinateur tombé amoureux d’une… calculatrice ! On ne sait plus s’il faut en rire ou en pleurer !

En dépit de ces excès, l’œuvre de Somcynsky/Somain possède une ligne directrice forte, exprime une obsession qui la travaille constamment, en sourdine ou à visage découvert, qu’on pourrait traduire par un désir d’équilibre et d’harmonie, une quête utopique dont l’ultime expression serait le mythe du couple originel et fusionnel. Cette œuvre est souvent sauvée dans ses débordements par une écriture fluide et d’une grande élégance, encore que la propension de l’auteur à diluer inutilement son propos ou à multiplier de façon redondante les expériences de couple plombe parfois ses récits.

À partir des années 1990, la science-fiction de Somain emprunte presque exclusivement la voie de la littérature jeunesse. S’il continue de creuser le thème de l’amour et de son corollaire, la sexualité, dans Le Baiser des étoiles notamment, il le fait de manière plus discrète et indirecte sous le couvert de valeurs morales telles que la tolérance et la compréhension entre peuples ou races.

En tant que chantre de l’hédonisme, Somcynsky/Somain a en quelque sorte inventé un sous-genre, l’erotic fantasy, dont la femme serait la première bénéficiaire. Pourtant, les groupes féministes n’ont pas encore élevé de statue à l’auteur…

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