L’œuvre de Roch Carrier est sporadiquement traversée par le fantastique. Dans Floralie, où es-tu ?, l’auteur faisait référence à certaines légendes traditionnelles du Québec, tandis que dans Le Jardin des délices, il réinventait le mythe des chercheurs de trésor, sujet du premier roman des lettres québécoises, fantastique de surcroît, L’Influence d’un livre.

C’est toutefois dans Jolis Deuils, première publication de Roch Carrier en 1964, et dans le roman Les Fleurs vivent-elles ailleurs que sur la Terre ? paru seize ans plus tard, que l’auteur explore davantage cette voie. Les contes réunis dans Jolis Deuils illustrent des sentences morales sur des sujets universels : l’amour, la vie, la mort, la guerre, le bonheur, la liberté, l’ambition. Le fantastique, ici, flirte volontiers avec l’absurde et le merveilleux. Véritable compendium des maux qui semblent indissociables de la condition humaine, ces contes prennent la forme de petites métaphores de trois ou quatre pages, remarquables de concision, au symbolisme le plus souvent limpide.

C’est un Carrier plus grave, qui s’interroge sur le sens de l’existence, qu’on découvre dans le roman Les Fleurs vivent-elles ailleurs que sur la Terre ? L’auteur met en scène un homme ordinaire, célibataire âgé d’une quarantaine d’années, très rangé dans sa vie professionnelle et privée. Prudent B. Pépin mène une existence sans histoire jusqu’au jour où un rayon lumineux en provenance du ciel imprime sur sa poitrine un visage vivant. Les lèvres semblent articuler un mot que Prudent n’arrive pas à saisir. Commence alors une quête où l’astronomie – et plus généralement la science –, la religion et la communication de masse seront tour à tour convoquées pour déchiffrer le sens de ce phénomène extraordinaire.

Le fantastique représente ici une voie qui permet à l’auteur d’aborder la question métaphysique de l’existence de l’homme sur la Terre, de ses rapports avec l’univers et avec les autres formes de vie, car Prudent croit qu’il a reçu un message des habitants d’une autre planète qui désirent entrer en communication avec les Terriens.

Ce roman marque une rupture dans la thématique de l’œuvre de Roch Carrier – tout en renouant avec ses débuts –, car ses romans précédents souscrivaient à un certain nationalisme dans cette volonté d’inventorier l’histoire culturelle et sociale du Québec. Après avoir évoqué le passé rural et la réalité urbaine de la société québécoise dans des romans où son talent de conteur s’exprimait avec une belle verdeur et une douce ironie, l’auteur se fait le héraut d’un nouveau règne, celui de l’homme cosmique.

En élargissant ainsi sa perspective, Roch Carrier rejoint le sens fondamental du fantastique, un genre foncièrement ontologique dans ses meilleures manifestations. Son discours accède à l’universel car il concerne l’homme en général. Mais, conséquemment, le moraliste se trouve à céder le pas au philosophe.

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