Jean-Pierre April a été la première « star » de la science-fiction québécoise. Dès ses premières nouvelles parues au milieu des années 1970, il s’est attiré la faveur des amateurs d’une science-fiction innovatrice, une science-fiction très critique et mordante envers la société de l’image, qu’il questionne dans ses diverses incarnations.

Jean-Pierre April est un pur produit de la contre-culture, un objecteur de conscience qui ne cesse d’utiliser les représentations emblématiques de la culture populaire américaine (Jackie Kennedy, King Kong) ou québécoise (le stade olympique, le Forum de Montréal) pour mieux exposer leur mécanisme de fabrication et, ultimement, les démythifier. En ces années 1970, April croit encore que la science-fiction constitue la seule littérature capable d’aller au-delà de l’image fabriquée, au-delà du rêve américain pour en exposer les failles et mensonges.

Héritier des auteurs étatsuniens qui ont écrit sous influence et fait l’expérience du LSD et des drogues dures, April plonge souvent ses personnages dans un état second induit par les psychotropes. Paradoxalement, ils acquièrent ainsi une lucidité qui leur permet de découvrir les simulacres dans lesquels ils vivent, tout comme leurs semblables. Le simulacre est la clé de voûte, le maître mot qui définit l’œuvre de Jean-Pierre April. Cela en fait aussi un émule de Philip K. Dick, véritable figure tutélaire qui plane sur la plus grande partie de son œuvre.

Qui dit simulacre dit fausse réalité. Quoi de plus éloigné de leur image réelle que celle des icônes de la culture de masse ? April décortique dans un premier temps ces pures créations du marketing pour, dans un second temps, dénoncer ces faiseurs d’images : les médias de masse, véritable opium du peuple.

Avec le recul, le trait de génie d’April, son intuition foudroyante, c’est d’avoir anticipé le pouvoir démesuré des entreprises de communication, d’avoir saisi les effets délétères de la téléréalité – devenue, sous sa plume, « télétotalité » référant au nouveau visage du totalitarisme – sur les rapports humains et les réseaux sociaux. On peut le dire maintenant : l’œuvre de Jean-Pierre April était visionnaire et en avance sur son temps, de sorte qu’elle conserve encore aujourd’hui toute son actualité et sa pertinence.

Si sa réception critique n’a pas toujours été à la hauteur des attentes de l’écrivain, c’est sans doute dû au fait que l’écriture d’April, syncopée, brute, voire « garrochée », fait souvent écran au discours qu’elle porte. April est un auteur qui fonctionne par flash, qui a un sens formidable de la formule. La forme brève de la nouvelle lui convient mieux que le roman, qui apparaît dès lors décousu et inabouti. C’est le cas du Nord électrique, ce roman qui raconte l’épopée industrielle de la conquête du Nouveau-Québec. Curieusement, le thème de l’hydro-électricité semble ici daté, les grands barrages qui ont fait la réputation des ingénieurs québécois dans le monde ayant été réalisés une ou deux décennies plus tôt. En revanche, l’auteur entrevoit quelques années avant la crise d’Oka le conflit qui menace d’éclater à la suite de l’atteinte à l’intégrité du territoire des Amérindiens.

Avec Berlin-Bangkok, April étend considérablement son territoire d’étude. C’est l’ensemble du monde occidental qui s’agite dans son laboratoire alors qu’il ajoute à ses thèmes de prédilection les nouvelles techniques de reproduction, abordant par le fait même la problématique des mères porteuses et le marchandage du corps de la femme. Le sujet a trouvé un écho en Europe, le roman ayant été réédité par J’ai lu en 1993.

Jean-Pierre April a réussi dans son œuvre à conjuguer le courant nationaliste québécois avec une littérature qui, par définition, transcende les identités nationales. Étant l’un des rares écrivains d’ici à pratiquer une science-fiction politique et sociale, il a rendu visible le territoire québécois et fouillé les mythes identitaires de notre société : le hockey dans « Le Fantôme du Forum », l’hydro-électricité, le stade olympique dans « Le Vol de la ville » qui, la coïncidence étant trop frappante, a certainement servi de matrice à la chanson du groupe Mes Aïeux, Le Stade.

D’auteur de « fiction spéculative », Jean-Pierre April est devenu, après un silence d’une dizaine d’années, un écrivain du « mainstream » tourné vers le passé ou l’enfance. À cet égard, la nouvelle « Dans la forêt de mes enfances » publiée en 1989, l’une des dernières qu’il a écrites dans sa période d'auteur de science-fiction, indiquait la voie plus intimiste qu’il entendait emprunter en abordant déjà les thèmes de la paternité, des origines et de la condition masculine. Prescience de sa deuxième vie d’écrivain ? On veut le croire, car April n’a jamais été dupe des forces souterraines qui se manifestent dans l’acte d’écrire. Dans plusieurs de ses nouvelles, dont la série Coma (« Coma-70 », « Coma-90 », « Coma-123, automatex » et « Coma-B2, biofiction »), il met à nu les mécanismes de l’écriture avec le scalpel du théoricien littéraire et du clinicien jungien.

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Crédit photo : Samson