Sans vouloir en rajouter sur les clichés associés à la culture populaire haïtienne, force est de reconnaître que celle-ci est un terreau fertile pour le fantastique. Si, en plus, on est un admirateur de Richard Matheson et de la série culte Au-delà du réel comme l’est Stanley Péan, il ne faut pas se surprendre si l’essentiel de sa production est à ranger dans le rayon fantastique.

Comme Daniel Sernine, Stanley Péan a commencé à publier très jeune. Son premier recueil de nouvelles, La Plage des songes, paraît alors qu’il a à peine vingt-deux ans. D’entrée de jeu, Péan introduit des thèmes peu souvent abordés dans la littérature fantastique québécoise : la quête d’identité, l’exil, le racisme, l’aliénation culturelle, la culpabilité. Contrairement à ses personnages qui veulent oublier leurs racines et s’intégrer à la société québécoise au détriment de leur véritable nature, Péan se forge une identité littéraire comme écrivain en cultivant sa double appartenance. Arrivé nourrisson au Québec avec ses parents d’origine haïtienne, il connaît intimement les deux cultures.

À côté des nouvelles dans lesquelles l’écrivain fait ses gammes et apprend son métier, non sans tâtonnements et ratés, il y a ce premier recueil autour duquel se forme le noyau dur de son œuvre et qui structure sans discontinuer l’entreprise littéraire de l’auteur : le métissage des cultures québécoise et haïtienne. Stanley Péan puise en effet aux sources de la culture populaire haïtienne (vaudou, zombi, superstitions – « C’est un péché pour une fille de mourir vierge » au centre de la nouvelle « Athénaïse ») pour nourrir son œuvre, à laquelle il intègre des figures du fantastique traditionnel québécois telles que le loup-garou et les feux follets.

La fusion est très réussie dans « Ce Nègre n’est qu’un Blanc déguisé en Indien » alors que le personnage principal, Alix Claude, régresse au stade animal comme pour se conformer à l’image que les autres se font de lui. Péan enrichit le thème de la lycanthropie, mais l’exercice peut être casse-gueule comme le démontre la nouvelle « La Faim justifie les moyens », beaucoup moins réussie. Il fait cependant amende honorable dans son roman pour jeunes Quand la bête est humaine, version révisée et augmentée de cette même nouvelle, en inscrivant le mythe haïtien du zobòp au cœur de Montréal sur fond de frictions interculturelles. Dans L’Appel des loups, ce sont les feux follets, ces âmes damnées du XIXe siècle, désacralisées et converties en lueurs bleues, qui font l’objet d’un traitement moderne de la part de l’auteur, qui les assimile à une race de mutants.

Le travail de métissage s’étend même à de grandes œuvres de la littérature anglo-saxonne quand il transpose la nouvelle d’Edgar Allan Poe, « La Chute de la maison Usher », dans le contexte sociopolitique haïtien (Le Tumulte de mon sang).

Dans les nouvelles de Péan qui mettent en scène des personnages d’origine haïtienne, le rapport au pays natal demeure fondamental car il détermine l’identité et le destin de chacun. La mère et la patrie se confondent tellement que renier ses liens familiaux ou ses origines ne garantit aucunement l’intégration à la société québécoise. Plus que le statut social, l’argent ou la réussite matérielle, c’est l’art qui peut concilier les contradictions de ses protagonistes. À cet égard, le personnage de Christian Marcellin, dans la nouvelle « La Plage des songes », est exemplaire car il a réussi à faire la synthèse de ses deux cultures par la peinture. Et Stanley Péan de se proposer comme modèle en littérature, serait-on tenté de conclure quand on analyse sa démarche artistique…

En traitant des thèmes aussi lourds que l’exil, le déracinement et l’aliénation culturelle, l’auteur ne peut éviter la question du racisme. Il en explore les diverses facettes dans ses romans pour adolescents et ce, sans détour, alors que dans des nouvelles comme « Métempsychose » et « Ce Nègre… », sans atténuer son propos, il fait valoir le caractère insidieux et sournois d’une certaine forme de racisme. Amener l’étranger à faire sienne l’image que les autres se font de lui constitue en effet un comportement aussi répréhensible et dangereux que le racisme primaire.

Si, au fil des recueils, la proportion des nouvelles fantastiques s’inverse au profit des nouvelles réalistes, c’est que les préoccupations de l’écrivain le portent davantage vers l’étude des mœurs sociales. Le journalisme culturel auquel Péan se consacre depuis la fin des années 1990 a transformé son regard. Dans La Plage des songes, ses personnages vivaient (mal) l’exil du pays natal, alors qu’ils sont surtout exilés de leur propre vie dans Noirs Désirs. Le couple fait le pont entre les textes anciens et les plus récents. La nouvelle « Déviation » est en ce sens emblématique de l’évolution de l’œuvre de Péan, qui propose un fantastique moins dépendant des conventions du genre.

Engagé dans de multiples activités de la sphère culturelle – tour à tour ou simultanément animateur radiophonique, chroniqueur culturel, rédacteur en chef du magazine Le Libraire, président de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois –, Stanley Péan a peu publié depuis le début du XXIe siècle, du moins dans le domaine du fantastique. L’abondance de sa production mais surtout le métissage du fantastique québécois auquel il s’est livré assurent à l’écrivain une place identique, dans la littérature de genres au Québec, à celle qu’occupe son compatriote Dany Laferrière dans la littérature québécoise en général.

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