Pendant près de quinze ans, Francine Pelletier a fait d’incessants allers-retours entre le roman pour jeunes et la nouvelle. Sa production, au centre de laquelle se trouve toujours un personnage d’adolescente – une règle pratiquement incontournable en littérature jeunesse – ou une jeune adulte dans ses nouvelles, est marquée par des thèmes tels que la quête identitaire, la conquête de l’autonomie et l’autodétermination des individus qui prime sur les politiques collectives.

Cette première partie de son œuvre se lit comme une longue métaphore de sa propre démarche vers l’autonomie en tant qu’auteure de science-fiction et en tant qu’adulte face à des figures tutélaires ou d’autorité. Sur le plan professionnel, elle avait à surmonter l’influence de ses devancières, particulièrement celle d’Élisabeth Vonarburg et, dans une moindre mesure, d’Ursula Le Guin, à qui elle paie sa dette dans un pastiche respectueux, « Le Seuil d’Ashoran ». Sur le plan personnel, la sortie du cocon familial, une valeur refuge très présente dans son œuvre, signifiait deux choses : relever le défi de l’autonomie financière tout en se convainquant de son talent pour l’écriture.

Francine Pelletier a fait ses débuts quelques années après l’entrée en scène remarquée d’Élisabeth Vonarburg, dont elle a suivi quelques ateliers d’écriture. La comparaison était inévitable, d’autant plus que les femmes qui écrivaient de la science-fiction à l’époque étaient peu nombreuses – c’est moins le cas aujourd’hui.

Que ce soit dans « L’Enfant d’Asterman », où le personnage de Magdaléna préfère travailler auprès d’un maître moins prestigieux qui ne l’écrasera pas de sa personnalité, ou dans « Dernière Phase », où Aline a dû choisir entre la carrière et la maternité, Francine Pelletier s’identifie, consciemment ou non, à ces héroïnes qui aspirent à grandir et à s’épanouir par leurs propres moyens. Le cheminement de ses personnages féminins épouse celui de l’écrivaine dans ce qui apparaît comme une autofiction transposée en récit d’apprentissage.

Au cours de cette période (1983-1996), à travers ses romans et ses nouvelles, Francine Pelletier jette les bases d’un univers de science-fiction qui s’articule autour d’Asterman, station orbitale à partir de laquelle les humains entreprennent la colonisation et l’exploitation industrielle de plusieurs planètes : Ganymède, Titan, Arkadie, cette dernière étant au centre d’un autre cycle romanesque. Ces espaces planétaires sur lesquels se développent différents épisodes mettant en scène Arialde Henke, ornithologue idéaliste et intrépide, va devenir le fonds de commerce de l’auteure, six romans et une douzaine de nouvelles, dont la presque totalité de celles qui composent son seul recueil, Le Temps des migrations, issus de cet univers d’une cohérence remarquable, porteur de ses préoccupations sociales, éthiques et écologiques.

La nature des aventures d’Arialde fait en sorte que le récit repose sur un mystère à élucider ou une enquête à mener, opérant ainsi une fusion entre la science-fiction et le polar. Les intrigues ne sont pas renversantes de complexité ou d’originalité, mais l’équilibre entre les deux genres est assuré par le réalisme saisissant des descriptions de lieux inhabituels (lire exotiques) où se joue la partie. Par comparaison, la série « Bizarre », qui fait appel aux mêmes ressources du polar, apparaît plus convenue et inégale, en raison même de ce déficit d’altérité et de la trop grande proximité avec le cadre quotidien.

Piégée d’une certaine façon par la littérature jeunesse, qui lui impose des personnages d’adolescents auxquels les jeunes peuvent s’identifier mais qui entravent son évolution artistique – et ce, indépendamment de la qualité de ses romans –, et reléguée dans l’ombre d’Élisabeth Vonarburg, Francine Pelletier doit faire face à deux handicaps majeurs.

La publication de sa trilogie Le Sable et l’Acier (1997-1998), une œuvre pour adultes, change carrément la donne. Francine Pelletier naît véritablement comme écrivaine avec cette œuvre de maturité qui démontre une maîtrise d’écriture acquise dans la pratique de la nouvelle. Le féminisme discret et modéré de l’auteure s’exprime par des personnages forts et déterminés, voire entêtés et rebelles, et par des préoccupations telles que le rapport à la mère, la maternité, la liberté d’esprit, la solidarité et l’amitié féminines.

La pensée féministe de Pelletier n’a pas l’ampleur de celle qui anime une partie de l’œuvre d’Élisabeth Vonarburg, la réflexion « dérangeante » de cette dernière s’étendant à toutes les sphères de la société et renversant même, dans Chroniques du Pays des Mères, la primauté du genre masculin sur le genre féminin dans la langue française. C’est par leur psychologie que les personnages féminins de Francine Pelletier rompent avec les modèles traditionnels, qu’ils revendiquent l’égalité avec les hommes. Nelle de Vilvèq, héroïne du premier tome de la trilogie, est l’incarnation la plus marquante de cette volonté d’autonomie et de cette quête de vérité qui galvanisent ses personnages de femmes.

Certes, Nelle est encore une jeune fille révoltée, qui n’a pas de patronyme – ce qu’elle déplore amèrement – parce qu’elle n’a pas été adoptée par un maître ou une maîtresse. Pourtant, c’est cette absence de lien familial, cette non-existence sociale qui est la clé de son émancipation. Sans patronyme, telle une page blanche, elle a la possibilité d’écrire sa propre histoire. Ce n’est pas un hasard si le deuxième tome de la trilogie, Samiva de Frée, présente une femme dans la force de l’âge tandis que la conclusion, Issabel de Qohosaten, met en scène une vieille femme. Que cette trilogie débute et se termine dans un Québec du futur reconnaissable mais si différent, après une partie centrale campée dans un autre monde, est révélateur également de la capacité nouvelle de l’écrivaine d’utiliser le territoire québécois comme nouveau paradigme. Les quelques rares incursions qu’elle avait donné à lire auparavant dans ses nouvelles étaient plutôt superficielles.

Chaque œuvre digne de ce nom est unique, c’est entendu. N’empêche que rares sont celles qui ne sont pas redevables à des œuvres qui les ont précédées. C’est en assimilant et en transcendant ces apports qu’une œuvre suscite le respect et l’admiration. Le cas de la production de Francine Pelletier en est une preuve éloquente.

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