Il y a quatre écrivains en Daniel Sernine : un auteur jeunesse qui écrit de la science-fiction et du fantastique, un auteur pour adultes qui pratique également ces deux genres. Dès le début de sa carrière, Daniel Sernine a l’ambition de construire une œuvre en agissant sur ces quatre fronts littéraires et met graduellement en place un réseau de ramifications qui lie ces divers univers.

Il faut savoir qu’il a commencé très jeune à publier, ses premières nouvelles paraissant l’année de ses vingt ans. S’il y a des écrivains de la maturité dont la production est concentrée entre quarante-cinq et soixante ans, Daniel Sernine est de ceux qui ont écrit l’essentiel de leur œuvre entre vingt et quarante ans. C’est donc en grande partie une œuvre née, dirait-on, dans l’urgence et la fébrilité de la jeunesse et qui se nourrit de cette énergie et des idéaux qui caractérisent cette période de la vie. Ce n’en est pas moins une œuvre forte qui témoigne dès les débuts de la grande maîtrise de l’écriture de Sernine, une écriture classique, d’abord au service du récit, mais qui ne se refuse pas les envolées lyriques ou les descriptions poétiques. Perfectionniste, il a retravaillé plusieurs de ses premières nouvelles avant de les republier, parfois sous un titre différent. 

Revenons aux quatre écrivains qui cohabitent en Daniel Sernine. L’auteur pour adultes a d’abord pratiqué un fantastique canonique dans ses deux premiers recueils (Contes de l’ombre et Légendes du vieux manoir). Au cours de cette première décennie d’écriture, il assimile ses influences littéraires (Poe, Baudelaire, Lovecraft) en mettant en scène des histoires de malédiction, de métamorphose dans des décors lugubres évoquant une époque indéterminée, mais assurément ancienne, et dans des lieux propres à susciter l’angoisse – notamment des cimetières et des maisons abandonnées. Son fantastique flirte avec le surnaturel et l’horreur, mais tombe rarement dans le « gore ».

Avec la parution de sa nouvelle « Sur la scène des siècles » en 1987, son univers fantastique évolue vers une forme plus moderne et littéraire, ainsi que le réclamait la critique qui lui reprochait de plus en plus de se cantonner dans une tradition littéraire passéiste. Le recueil qui paraît en 1995, reprenant le titre de la nouvelle à l’origine de ce renouveau, constitue une très bonne illustration du ressourcement de son imaginaire.

La science-fiction de Daniel Sernine destinée aux adultes est marquée, dans sa forme brève, par le thème de la décadence et de la fin d’un monde qui a perdu ses repères moraux. Les deux tomes du recueil Boulevard des étoiles représentent la quintessence de cette déliquescence sociale. Le pessimisme de l’auteur, alimenté par l’impatience et l’idéalisme de la jeunesse, donne des couleurs crépusculaires à cette science-fiction dont l’image centrale s’arrime à un Carnaval perpétuel dans lequel s’étourdit le troupeau humain.

Son œuvre majeure reste cependant la trilogie La Suite du temps, dont la publication s’étend sur une période de vingt-cinq ans (1983-2008). Faisant le pont entre l’œuvre de jeunesse (Les Méandres du temps) et l’œuvre de maturité (Les Archipels du temps et Les Écueils du temps), elle aborde une des obsessions majeures de Sernine qui emprunte divers questionnements d’ordre existentiel : le vieillissement, le retour au passé, la nostalgie de l’innocence. Le roman Chronoreg, dans lequel un militaire utilise une drogue lui permettant de revenir quelques jours en arrière pour changer le destin de son compagnon et amant, cristallise cette quête irréaliste, perdue d’avance.

En fait, la seule lueur d’espoir de sauver la civilisation humaine de l’extinction repose sur l’existence d’une élite éclairée composée des plus brillants représentants de la race humaine, les Éryméens. Ceux-ci travaillent dans l’ombre à partir de l’astéroïde Érymède et agissent anonymement pour désamorcer les conflits terrestres et protéger les humains contre eux-mêmes. Ce surmoi très puissant, sorte de père protecteur qui intervient un peu à la manière des divinités grecques, structure la grande majorité des romans de science-fiction de Sernine destinés aux jeunes, notamment la série Argus, qui compte quatre titres.

Enfin, le fantastique pour jeunes s’exprime à travers le « cycle de Neubourg et Granverger », une suite de dix romans qui embrassent quatre siècles d’histoire (1595-1995), de la Nouvelle-France au Québec contemporain. La Traversée de l’apprenti sorcier ouvre le cycle tandis que L’Arc-en-cercle conclut l’ensemble, dont la publication s’est poursuivie de 1980 à 1995. Sernine met ici à profit sa formation universitaire en histoire pour écrire une série bien documentée, fort instructive et divertissante, dans laquelle le fantastique emprunte les habits du surnaturel et de la magie ainsi que le justifie le contexte historique qui sert de toile de fond.

Ayant été le premier auteur jeunesse à proposer des romans fantastiques et de science-fiction à un rythme soutenu, Daniel Sernine a acquis une notoriété enviable auprès des jeunes lecteurs, mais il a surtout inspiré les auteurs jeunesse de la génération suivante qui en ont fait leur mentor. Son influence dans ce domaine s’est exercée également à partir de 1983 en tant que directeur littéraire de la collection Jeunesse-pop chez Médiaspaul où, grâce à sa connaissance de la littérature de genres à laquelle la collection était exclusivement dédiée, il a su attirer des auteurs confinés jusque-là à la pratique de la nouvelle. Francine Pelletier, Jean-Louis Trudel, Yves Meynard, Julie Martel et Michel Lamontagne y ont ainsi publié leurs premiers romans.

Comme Sernine est également rédacteur en chef du périodique Lurelu depuis 1991, il n’est pas étonnant que son nom soit surtout associé à la littérature jeunesse et ce, sans préjudice pour l’autre volet de sa production. Grand connaisseur de l’œuvre de Tolkien, il a aussi été le premier à publier dans la littérature québécoise un roman de fantasy, Ludovic, une quinzaine d’années avant le déferlement de ce genre de tradition anglo-saxonne.

Daniel Sernine n’a peut-être pas fini de nous surprendre. Sa bibliographie, forte d’une trentaine de livres et de près de cent nouvelles, en fait déjà l’un des écrivains québécois les plus prolifiques. Et dire que ses tâches professionnelles comme directeur littéraire et rédacteur en chef ont grandement limité sa production depuis le début des années 2000 !

 

 

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